L’industrie du jeu vidéo, qui s’était habituée à un discours de soutien économique des pouvoirs publics, fait face à un front inédit de critiques. / CAMILLE MILLERAND / « LE MONDE »

C’est à ne plus savoir où donner de la manette. Que ce soit en France, aux Etats-Unis, au Canada, au Brésil, ou encore en Nouvelle-Zélande, la plupart des syndicats du jeu vidéo nationaux sont mobilisés sur plusieurs fronts pour défendre leur secteur, qui connaît sa plus importante salve de critiques de la part des pouvoirs publics depuis deux décennies. Si certaines obsessions vieilles des années 1990 refont surface de manière inattendue, comme les questions de la violence et de l’addiction, d’autres s’inscrivent dans les évolutions économiques et sociétales récentes, que ce soit sur les nouveaux modèles de monétisation ou de la gestion humaine au sein des entreprises.

  • L’OMS veut reconnaître l’addiction au jeu vidéo

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a annoncé au début de janvier son souhait de reconnaître l’addiction au jeu vidéo en tant que maladie, sous le nom de « trouble du jeu vidéo » (gaming disorder), dans sa prochaine révision de la Classification internationale des maladies (CIM).

S’appuyant sur une contre-expertise de 36 experts internationaux en santé mentale, qui évoquent « d’authentiques risques de diagnostics abusifs », les principaux représentants mondiaux de l’industrie du jeu vidéo ont exhorté au début de mars l’OMS a revenir sur sa décision, évoquant une « classification controversée et non démontrée ».

  • Donald Trump dénonce l’influence des jeux violents

C’est une antienne des années 1990. Après la tuerie du 14 février dans un lycée de Parkland, en Floride, et alors que le débat sur le port des armes à feu fait rage aux Etats-Unis, Donald Trump a suggéré un lien entre tueries de masse et jeux vidéo et films violents. « Je vois de plus en plus de gens dire que la violence des jeux vidéo a une influence sur les jeunes », a-t-il dit le 22 février lors d’une discussion informelle diffusée par CNN.

« Les jeux vidéo ne sont clairement pas le problème, s’est défendu lundi 5 mars le Syndicat américain des éditeurs de jeu vidéo. Ce sont des loisirs distribués et consommés dans le monde entier, mais les Etats-Unis connaissent un niveau de violence plus haut que celui de n’importe quelle nation. » Donald Trump doit rencontrer jeudi 8 mars les représentants de l’industrie pour évoquer son idée de système de classification par âge – qui, dans les faits, existe déjà depuis 1994.

  • Les « lootbox » dans le collimateur des puissances publiques

La polémique est née à l’automne avec la sortie du jeu Star Wars Battlefront II et ses coffres à butin au contenu aléatoire, dit « lootboxes », vendus en monnaie réelle. Les joueurs avaient calculé qu’il leur faudrait environ 2 100 dollars d’achats de lootboxes ou 4 528 heures de jeu pour débloquer tout le contenu du titre. « Un casino en ligne avec un décor Star Wars », a critiqué Chris Lee, élu démocrate d’Hawaï, qui est devenu en février le premier Etat américain à étudier un projet de loi sur la question. En Europe, les commissions de régulation des jeux d’argent belge, britannique, française et néerlandaise ont lancé « une réflexion commune », témoignait à l’époque le gendarme français des jeux en ligne, l’Arjel.

« Nous sommes convaincus que les importants efforts d’autorégulation de l’industrie restent la manière la plus efficace de régler ces questions importantes, et ce système a prouvé son efficacité depuis longtemps », a déclaré mercredi 14 février un porte-parole de l’ESA au site Game Industry. Ubisoft a estimé de son côté qu’il ne s’agissait « pas d’un problème de régulation majeur ». Les lootboxes feront partie en France des points de discussion du groupe d’étude parlementaire sur le jeu vidéo, annoncé au début de 2018 et officiellement lancé en mars.

  • Des députés français vont se pencher sur les conditions de travail

Alors que le mouvement #MeToo a relativement épargné le jeu vidéo, de nombreuses professionnelles du secteur interrogées par Le Monde évoquent un milieu sexiste à la parole cadenassée. D’une manière générale, plusieurs enquêtes publiées depuis la fin d’année 2017 par Le Monde, Mediapart, Canard PC ou encore Gamekult, et l’apparition d’associations comme le Rassemblement inclusif du jeu vidéo (RIJV) et du Syndicat des travailleurs du jeu vidéo (STJV) ont mis en lumière les nombreux manquements des studios français au droit du travail : management chaotique, surcharge de travail, bas salaires, etc. A la mi-février, un studio de jeu vidéo français s’est mis en grève, une première en sept ans. Alexis Corbière, porte-parole de La France insoumise, a interpellé le gouvernement en invoquant un « mal-être profond et constant dans cette industrie ».

Après avoir dans un premier temps écarté ces questions, Denis Masseglia, député La République en marche à l’origine du groupe d’étude sur le jeu vidéo, initialement censé défendre les intérêts des industriels, a déclaré mardi 6 mars que parmi ses chantiers figuraient « aussi la question des salaires et des conditions de travail. », tout en rappelant que le rôle du groupe n’est pas de légiférer. De son côté, le Syndicat national du jeu vidéo (SNJV), qui compte essentiellement des dirigeants et des cadres de studios, a déclaré vouloir travailler à « identifier les freins à l’épanouissement des salariés ».