« Gleipnir ». / © SUN TAKEDA

Les uniformes sont populaires au Japon, signes de l’effacement de l’individu face au collectif, ce collectif porté par le confucianisme qui irrigue toute la culture japonaise. L’uniforme est partout dans le manga réaliste japonais, tout aussi iconique que son double en peluche, le yuru-chara – la mascotte mignonne qui peuple les supermarchés et le marketing de l’archipel.

C’est tout à la fois une histoire de mascotte, d’uniformes et de transgression des normes que nous propose Gleipnir, un manga de Sun Takeda, auteur peu connu en France mais qui dispose déjà d’une production considérable aux thématiques dérangeantes de transformation sexuelle (Sekai no Hate), ou de personnalités duales et perverses (Haru a Natsu).

« Gleipnir ». / © SUN TAKEDA

Shûichi Kagaya est un jeune homme tout ce qu’il y a de normal en apparence, dans son collège, avec ses copains et doté d’un naturel plutôt affable. Un problème vient toutefois empoisonner son quotidien : il est capable de se transformer en une peluche géante et surpuissante, dans les moments de stress ou simplement comme ça. Essayant à tout prix de cacher ce problème, il sauve cependant Claire, une fille de son école, d’un incendie. Mauvaise pioche, la jeune fille avait une sœur avec les mêmes capacités que Shûichi, mais qui a disparu. Elle va tout faire pour exploiter le talent de son nouvel ami pour la retrouver.

Comme nombre de ses contemporains dans le manga, Sun Takeda se complaît à présenter la jeunesse mâle comme faible et indécise. Même affublé d’un super-pouvoir, le héros de Gleipnir ne sait que faire de cette puissance et se laisse manipuler aisément par Claire, laquelle use éhontément de ses charmes. De deux ans sa cadette, la jeune fille réussit, littéralement, à prendre le contrôle de Shûichi, le jour où elle découvre que sa peluche est vide et qu’elle peut y entrer pour assumer la puissance que le jeune homme évite.

Une planche de « Gleipnir », manga de Sun Takeda, aux éditions Dark Kana. / © SUN TAKEDA

Véritable exercice de possession, double jeu masculin/féminin ou le féminin domine (en petite culotte), chantage, inversion du rôle bienveillant de la mascotte, soumission sexuelle… les thématiques véhiculées par Gleipnir dans un environnement scolaire sont sidérantes. Il faut y ajouter ce jeu étrange de l’empilement des travestissements : l’uniforme scolaire (qui marque la norme et la soumission), dans une peluche (qui marque la douceur) doublé d’une réflexion sur le dedans/dehors et sur la provocation sexuelle. Très lourd programme.

Une planche de « Gleipnir », manga de Sun Takeda, aux éditions Dark Kana. / © SUN TAKEDA

Il faut hélas reprocher au manga une mise en scène un peu chaotique, qui complique parfois une histoire dont la richesse psychanalytique est évidente. Et aussi ce travers énervant de la niaiserie qui habite souvent les personnages adolescents des mangas japonais. C’est dommage. Sur la couverture de Gleipnir, il est bien inscrit « pour public averti ». Vous êtes avertis.

Gleipnir, de Sun Takeda, aux éditions Dark Kana, t. 1 paru le 12 février (t. 2 le 6 avril), 200 p., 6,85 euros.