La file des invités s’étend jusque sur le quai, devant la Seine. Il y a là des avocats d’affaires, des directeurs financiers de grandes entreprises, l’un des gendres de Serge Dassault, des Français installés à Londres, Paul Hermelin, le PDG de Capgemini, qui joue souvent les conseillers de l’ombre d’Emmanuel Macron, et tout un aréopage de patrons venus autant par curiosité politique que par amour de la musique. A l’entrée, un majordome distribue le programme de la soirée : « Création mondiale du Tenebrae, bref Requiem de Karol Beffa. Commande de Philippe Villin en hommage à une droite défunte. »

Ce mardi 6 mars, le banquier d’affaires donne un concert privé dans les salons de son duplex décoré d’œuvres d’art figuratifs des années 1930, lampes « seventies » et bronzes contemporains. Un an auparavant, Philippe Villin avait passé des journées pendu au téléphone, conjurant Nicolas Sarkozy d’obliger François Fillon à retirer sa candidature à l’élection présidentielle. Puis, cet adversaire acharné d’Emmanuel Macron, avait assisté devant sa télévision au baroud désespéré du candidat, place du Trocadéro.

« Ce jour-là, j’avais juré de faire créer un requiem en hommage à la droite défunte, raconte-t-il en souriant devant ses convives. Nous y voilà. »

La veille, un camion de déménagement est venu emporter les meubles de prix et des chaises ont été disposées pour la soixantaine d’invités. Deux violonistes, un flûtiste et un violoncelliste ont pris place, devant le compositeur, Karol Beffa. C’est à ce normalien, huit fois premier prix au Conservatoire de musique de Paris et neveu de l’ancien patron de Saint-Gobain Jean-Louis Beffa, que M. Villin a commandé, pour quelques milliers d’euros, son requiem. « La commande privée la plus originale qui m’ait été passée », reconnaît le compositeur.

« Karol Beffa l’a cependant immédiatement accepté, assure M. Villin. Il a compris qu’au-delà de la boutade, elle reflétait chez moi la nécessité de soigner par une catharsis l’extrême peine que m’avaient infligée M. Fillon et sa clique. »

De droite, mais pourfendeur de l’euro, homosexuel militant, le banquier n’a jamais admis l’association du candidat Les Républicains avec Sens commun, ce groupement catholique farouchement opposé au mariage gay, et surtout le maintien de sa candidature malgré les affaires qui compromettaient définitivement ses chances d’élection.

« Ce sont mes reflux biliaires »

Le requiem tient en dix minutes et deux mouvements inquiétants et amers, dont l’harmonie finit par dérailler comme si les musiciens ne parvenaient plus à s’accorder. « Ce sont mes reflux biliaires », plaisante M. Villin avant de lancer à cette assemblée qui a voté en grande partie pour le candidat de la droite au premier tour de la présidentielle, puis s’est résolue à choisir Emmanuel Macron : « Je voudrais que Fillon écoute ces tonalités crépusculaires en boucle pour mieux expier sa faute. »

Aux dernières notes funèbres, une convive souffle « là, il est définitivement enterré… » Nicolas Sarkozy, que le banquier a informé de son initiative musicale en a, paraît-il, « beaucoup ri ». Mardi, pour ne pas risquer d’ajouter une fausse note aux difficultés de l’opposition, il s’est abstenu d’assister au concert.