Film sur OCS City à 20 h 40

MUCH LOVED Bande Annonce (2015)
Durée : 01:43

Much Loved (« très aimées ») se voit comme une histoire – celle de trois femmes tenues pour perdues par le reste du monde, mais qui se sont au moins trouvées – avant d’être un document sur la pros­titution à Marrakech (et donc sur la sexualité au Maroc).

Noha (Loubna Abidar), Randa (Asmaa Lazrak) et Soukaina (Halima Karaouane) cohabitent dans une villa de Marrakech. Elles en sortent pour travailler, accompagnées par un chauffeur factotum, un homme bienveillant – ce sera le seul du film. La première, mère caractérielle, cajole et martyrise ses colocataires, plus jeunes. Randa est une jeune fille moderne aux cheveux courts, qui ne veut coucher qu’avec des Européens, et rêve de partir pour l’Espagne. Un peu fleur bleue, Soukaina vit une fausse idylle avec un client saoudien qui la touche à peine et lui dit des poèmes, et une vraie idylle avec un beau jeune homme qui n’a pas l’air de rouler sur l’or.

L’énergie dramatique de Much Loved repose sur les étincelles produites par la confrontation entre ces personnalités plus que sur l’inventivité du scénario. Il arrive, au fil des rencontres ­tarifées, que la sensation de répétition (qui, c’est vrai, est un élément essentiel de la vie professionnelle des prostituées) étouffe la vivacité du film.

Une typologie désespérante

Mais, justement, cette vivacité est irrépressible. Ces trois femmes tentent par tous les moyens de ­vivre là où tout est organisé pour qu’elles se contentent de survivre. Face à elles, elles trouvent des clients marocains qui les méprisent, les Saoudiens qui leur servent de beaux compliments, tant ils sont contents d’avoir échappé un instant à la prison sexuelle de leur pays, les Européens qui font semblant de croire que les Marocaines sont soumises aux mêmes contraintes que les Françaises ou les Allemandes. Ces hypocrisies, Noha et ses compagnes les dynamitent du mieux qu’elles peuvent. Pour elles, une nuit n’est vraiment réussie que si elles ont pu se refuser tout en gagnant de l’argent. Elles déploient des trésors d’invention et de science de la psyché mâle pour parvenir à leurs fins. Seule exception à cette typologie désespérante du désir masculin, le personnage incarné par Carlo Brandt, amoureux éperdu de Noha, qui se refuse à le croire.

Quand le film sort du commerce des corps, il se fait plus grave. Noha tente en vain, à coups de billets et de cadeaux, de conserver l’estime d’une famille qui ne la tolère que parce qu’elle tient à l’écart la pauvreté ; Randa rêve d’Europe, mais se voit refuser un passeport ; Soukaina voudrait pouvoir aimer son pauvre soupirant, mais quelques éléments de mise en scène mettent en doute la sincérité de celui-ci. Il arrive aussi que la tragédie s’impose, que les lois qui assurent la soumission des femmes en général, des prostituées en particulier, s’imposent dans toute leur brutalité.

Pour raconter cette histoire, Nabil Ayouch filme avec une espèce de curiosité furtive, faisant glisser sa caméra le long des rues de Marrakech, se contentant d’éclairages chiches quand les circonstances l’exigent. La sensation d’enfermement est omniprésente. Pour l’alléger, le réalisateur fait intervenir un quatrième personnage central, aux deux tiers du film. Hlima (Sara Elmhamdi Elalaoui) est une paysanne venue chercher fortune à la ville. Nabil Ayouch oppose sa silhouette massive à l’élégance des trois colocataires, son bon sens naïf et son âpreté au gain à leurs rêves. Cette opposition produit un peu de comédie, tout en rompant l’unité de Much Loved. L’artifice est racheté par un joli final, mélancolique et lumineux.

Much Loved, de Nabil Ayouch (Fr.-Mar, 2015, 104 min).