Et si le grand perdant de l’élection à la présidence de l’Union cycliste internationale (UCI) n’avait pas été le Britannique Brian Cookson, mais son compatriote Dave Brailsford, manageur de la puissante équipe Sky ? Lorsque le tranquille président de l’UCI a été déposé en septembre 2017 au profit du Français David Lappartient, c’est tous les canaux directs entre la meilleure équipe du monde et la fédération internationale qui ont été coupés. Et la communication feutrée de Brian Cookson a laissé place à celle, moins contrôlée et plus offensive, de l’élu breton, de vingt-deux ans son cadet.

David Lappartient s’illustre, depuis son élection à la présidence de l’UCI en septembre 2017, par son attitude offensive vis-à-vis de la Team Sky. / FRANCK FIFE / AFP

Depuis son élection, sur tous les sujets, le Français porte le fer contre la Team Sky. Cette attitude, consciente ou non, a atteint son apogée mercredi 7 mars dans une interview à la BBC, donc à forte résonance au pays de Christopher Froome : pêle-mêle, il a accusé Team Sky de « triche », recommandé qu’une enquête ait lieu sur ses pratiques passées et réclamé que Froome ne puisse pas courir le Tour de France si sa situation disciplinaire n’était pas tranchée, à la suite de son contrôle anormal au salbutamol.

Christopher Froome a encore attiré la presse au départ de Tirreno-Adriatico, sa deuxième course de l’année. / DARIO BELINGHERI / AP

« Ce serait un désastre pour l’image du cyclisme »

« Ce serait un désastre pour l’image du cyclisme. Et je ne veux pas mettre notre sport en danger. De mon point de vue, cela aurait été mieux qu’il ne coure pas », a-t-il dit à la BBC, alors que Chris Froome affine actuellement sur Tirreno-Adriatico sa préparation pour le prochain Tour d’Italie, en mai. David Lappartient n’est « pas sûr » que la sanction contre Chris Froome soit prononcée d’ici au départ du Giro mais redemandera à la Sky de ne pas aligner le quadruple vainqueur de l’épreuve sur le Tour de France si l’incertitude demeure, au début de juillet.

Nos révélations de décembre 2017 : Le cas Froome ne sera pas tranché avant plusieurs mois

Sur cette question, le président de l’UCI n’a jamais ménagé la Team Sky. Il ne s’est pas défilé en décembre lorsque Le Monde et le Guardian lui ont demandé la confirmation du contrôle anormal subi par le Britannique sur le Tour d’Espagne, qu’il avait appris le jour de son élection à la présidence. Il a ensuite réclamé, un mois plus tard dans Le Télégramme, que Sky n’aligne pas son leadeur dans la situation actuelle, une suggestion que l’équipe britannique a écartée d’un revers de la main. La Sky est dans son droit, même si son attitude est considérée comme contraire à l’éthique et l’intérêt du cyclisme par de nombreuses équipes et plusieurs rivaux de Chris Froome.

L’UCI aurait la possibilité de suspendre unilatéralement Christopher Froome, mais cette porte de sortie offerte par le code mondial antidopage n’a jamais été utilisée par aucune fédération sportive internationale. Si elle l’activait, l’UCI pourrait être poursuivie par Sky devant le Tribunal arbitral du sport, qui pourrait considérer que Froome fait l’objet d’un traitement défavorable.

L’enquête impossible

L’interview à la BBC tombait au surlendemain de la publication d’un rapport du Parlement britannique sur le dopage dans le sport, dont un pan important était consacré à Team Sky. L’équipe était accusée d’avoir profité des largesses du règlement antidopage pour améliorer les performances de Bradley Wiggins, vainqueur du Tour de France en 2012.

Loin de choisir une position de retrait, ce qu’il pourrait faire puisque Team Sky conteste les conclusions accablantes du rapport, David Lappartient adhère fermement aux accusations des parlementaires et particulièrement de Damian Collins, député conservateur à la tête de la commission d’enquête que le Breton avait rencontré durant sa campagne présidentielle.

« Si vous utilisez des substances pour améliorer vos performances, je crois que c’est la définition de la triche », a-t-il dit à la BBC.

Le Français a également souhaité que la Fondation antidopage du cyclisme (CADF), théoriquement indépendante de l’UCI, enquête sur la pratique des prises de corticoïdes chez Team Sky. « Bien sûr à l’époque ils avaient des AUT [autorisation d’usage thérapeutique] validées par cette institution [l’UCI], mais il semble désormais que cela ait été organisé », a-t-il dit.

En 2016, les pirates informatiques russes de Fancy Bears avaient révélé l’existence d’AUT accordées à Bradley Wiggins pour prendre de la triamcinolone, un puissant corticoïde, selon lui pour traiter des allergies au pollen. Deux ans plus tôt, Le Journal du dimanche avait révélé qu’une AUT avait été délivrée à la hâte par l’UCI pour permettre à Christopher Froome de prendre des corticoïdes lors du Tour de Romandie, qu’il avait remporté. Les procédures de délivrance des AUT, jusqu’alors à la discrétion du seul directeur médical de l’UCI, avaient été révisées à la demande de l’Agence mondiale antidopage.

Selon nos informations, la CADF a déjà revérifié, après les révélations des Fancy Bears, que ces AUT avaient été délivrées dans les règles. Et, si l’agence antidopage de l’UCI est en contact avec l’UKAD, son homologue britannique, elle n’a aucun moyen pour l’heure d’ouvrir une enquête sur des faits dont tout le monde s’accorde à dire qu’ils n’étaient pas en infraction des règles.

La situation changerait radicalement si le docteur Richard Freeman, à l’époque praticien de Team Sky et de Wiggins, se mettait à table et affirmait que de la triamcinolone a été administrée au coureur en juin 2011, au soir du Critérium du Dauphiné et hors de toute AUT. UKAD et les parlementaires britanniques le soupçonnent mais n’en ont pas la preuve.

Budgets encadrés, l’autre front

Loin de ces polémiques, le coureur de Team Sky Wout Poels a pris mercredi 7 mars la tête du Paris-Nice. / JEFF PACHOUD / AFP

Cette interview particulièrement offensive a davantage pour objet de mettre la pression sur Sky et son patron, Dave Brailsford, très fragilisé dans son pays après la publication du rapport parlementaire.

La Sky est déjà dans le viseur de l’UCI pour son outrageuse domination sur le Tour de France, attribuée notamment à sa puissance collective. Sous la pression des organisateurs, Brian Cookson avait dû se résoudre à faire passer de neuf à huit le nombre de coureurs sur les grands tours, une innovation de l’édition 2018. Et David Lappartient réfléchit désormais à un encadrement de la masse salariale globale des équipes, afin d’équilibrer les chances entre Sky et des équipes dont le budget est deux à trois fois inférieur.

Par cette attitude, le Français se distingue nettement de son prédécesseur. Les contacts entre l’équipe Cookson et Team Sky étaient fréquents, même si Dave Brailsford et lui n’étaient pas réputés pour s’entendre particulièrement bien. Et lorsqu’une question devait être tranchée, elle était rarement défavorable à Team Sky. Avant d’être élu à la tête du cyclisme mondial, Brian Cookson avait dirigé pendant quinze ans British Cycling, la fédération britannique, et supervisé la création de Team Sky en 2010.

David Lappartient aurait pu se retrouver dans la même position, mais le projet de Team Sky à la française, qu’il avait porté en tant que président de la Fédération française de cyclisme (2009-2017), n’avait pu être mené à bien.