Au premier jour de son procès, devant le tribunal de Copenhague, jeudi 8 mars, l’inventeur danois, Peter Madsen, s’est accroché à sa dernière version des faits. S’il a reconnu avoir décapité la journaliste Kim Wall, 30 ans, à bord de son sous-marin, le Nautilus, dans la nuit du 10 au 11 août 2017, puis l’avoir démembrée, avant de jeter son corps à la mer, il continue d’affirmer que sa mort était un accident et nie l’avoir torturée et agressée sexuellement.

Jeudi après-midi, le Danois de 47 ans a longuement été interrogé par le procureur, Jakob Buch-Jepsen, sur les circonstances du drame. Tee-shirt noir, pantalon jogging bleu et chaussures de sport, Madsen finit par perdre son calme, forçant son avocate à demander une brève interruption de séance. Quand il revient à la barre, il annonce qu’il va enfin révéler « ce qui s’est vraiment passé » à bord du Nautilus, cette nuit d’été.

Depuis sa mise en garde à vue, le 11 août, ses témoignages varient au fil des macabres découvertes réalisées par les plongeurs dans le détroit de l’Oresund, entre la Suède et le Danemark. Pour commencer, Peter Madsen affirme avoir déposé Kim Wall dans le centre de Copenhague, vers 22 h 30, le 10 août, avant de reprendre la mer. Puis, lorsque le torse de la journaliste est repêché dans l’eau, au sud de la capitale danoise, le 21 août, il déclare qu’elle a été tuée, en recevant la porte de l’écoutille sur la tête.

Récit changeant

Nouvelle version, début octobre : la tête de la jeune femme vient d’être retrouvée. L’autopsie ayant révélé l’absence de traumatisme crânien, Madsen évoque alors un empoisonnement au monoxyde de carbone. Devant la cour, il se lance dans un long exposé technique, expliquant qu’une soudaine dépressurisation de l’habitacle a fait tomber le panneau de l’écoutille, piégeant la jeune femme dans le sous-marin, qui s’emplit de gaz toxiques, alors que lui-même se trouve sur le pont.

« Quand j’ai enfin réussi à ouvrir le panneau d’écoutille, un nuage de chaleur me prend au visage, raconte-t-il. Je la trouve inanimée sur le sol, je reste près d’elle et j’essaie de la faire revenir à elle, je lui donne des tapes sur les joues, je tâte son pouls. » En vain.

Le récit est détaillé, presque crédible. Sauf, rappelle le procureur, qu’il ne s’agit que d’une énième version des faits. Pourquoi ne pas avoir avoué immédiatement ? Pourquoi n’a-t-il pas appelé les secours, quand il découvre le corps ? Madsen esquive : « J’ai décidé de me suicider. »

Mais d’abord, il essaie de hisser le corps de la journaliste hors du sous-marin – ce qui expliquerait les traces de sangle sur le corps de la jeune femme. Echouant, il s’allonge. « A ce moment-là, Peter Madsen n’en peut plus », lâche-t-il. Il dort deux heures. A son réveil, il démembre le corps avec une scie, retrouvée au fond de la mer.

Le procureur ne semble pas convaincu. Il l’interroge sur ses préférences sexuelles : « Combien de temps avons-nous ? », ironise Madsen, qui se décrit comme « une personne aux mœurs légères » et reconnaît avoir fréquenté les milieux sado-masochistes. Mais quand Jakob Buch-Jepsen insinue qu’il aurait tué Kim Wall pour assouvir un fantasme sexuel, il s’emporte. Et accuse le procureur d’avoir l’esprit mal tourné.

Films de femmes torturées

Les preuves, pourtant, sont nombreuses. Questionné sur les traces de sperme, dans son caleçon, il raille : « Pour une personne aux mœurs dissolues comme moi, ce n’est pas étonnant. » Il y a aussi les films de femmes torturées et étranglées, retrouvés sur un disque dur dans son atelier. Peter Madsen affirme que ce genre de vidéos « l’affecte émotionnellement, pas sexuellement ».

En reconstituant l’historique de navigation de son téléphone portable, les enquêteurs ont également découvert qu’il avait fait une recherche sur Google en utilisant les mots « décapitation », « femme » et « agonie », seize heures avant d’embarquer avec Kim Wall, à bord du Nautilus.

Sur sa chaise, l’accusé s’agite. Il souffle, corrige le procureur, se plaint – du traumatisme qu’il a subi, de sa situation actuelle, de sa vie qui est finie. Pas un mot pour les proches de la journaliste, présents dans la salle. Rien non plus à propos de la victime, si ce n’est qu’il n’y a « rien de pire » que de perdre un membre d’équipage.

« Tendances narcissique et psychopathe »

A l’automne, Madsen a subi une expertise psychiatrique. Jeudi matin, le procureur a présenté les conclusions des deux médecins et du psychologue qui l’ont examiné. L’inventeur, selon eux, a une « personnalité polymorphe, sévèrement divergente », avec « des tendances narcissique et psychopathe ». Ils le décrivent comme un « manipulateur », incapable de ressentir de l’empathie ou d’éprouver de la culpabilité, doté d’une sexualité « obscure », et dont ils estiment qu’il présente « un danger » pour la société.

L’avocate de Madsen, Betina Hald Engmark, a souligné, pour sa part, que les causes de la mort de Kim Wall n’ayant pu être déterminées, il était impossible d’exclure la thèse de l’accident. Le procès reprendra le 21 mars. Trente-sept témoins sont appelés à la barre. Le verdict est attendu le 25 avril.