Devant un portrait du roi Salman, à Riyad, en février. / FAISAL AL NASSER / REUTERS

Le 26 septembre 2017, quelques heures après l’annonce de la levée de l’interdiction faite aux Saoudiennes de conduire, une quinzaine de militantes féministes ont reçu un appel des autorités de Riyad leur intimant de ne pas s’exprimer dans les médias sous peine de « procédures ». Cette démarche paradoxale est particulièrement révélatrice de la manière dont le prince héritier Mohammed Ben Salman, l’homme fort du royaume, dit « MBS », conçoit le processus de réformes en Arabie saoudite : comme une transformation par le haut, autoritaire, cantonnant les Saoudiens dans une position de sujets, privés de tout rôle politique.

« Le pouvoir ne veut pas que nous disions que nous avons obtenu nos droits parce que nous nous sommes battues pour cela », affirmait alors une militante de la cause des femmes. « Les dirigeants ne veulent pas que le peuple réalise que les pressions publiques peuvent apporter des changements, soutenait une autre. Ils ont trop peur qu’une fois la porte ouverte, ils n’arrivent pas à la refermer. »

Tout en ayant accordé aux habitantes du royaume plus de droits qu’aucun souverain avant lui, MBS s’oppose d’une main de fer à l’émergence d’un mouvement de défense des droits des femmes à part entière. Le travail des militantes est constamment entravé, voire criminalisé, comme l’est celui des défenseurs des droits humains en général, expliquent la Fédération internationale des droits de l’homme et de l’Organisation mondiale contre la torture dans un récent rapport. « Le pouvoir a un discours pour l’étranger et un pour l’intérieur, fait d’intimidations », observe la Saoudienne Hala Al-Dosari, chercheuse à l’université de Harvard, aux Etats-Unis.

Carcan patriarcal

Nassima Al-Sadah, une militante de Qatif, dans l’est du pays, n’a jamais reçu de réponse des autorités à sa demande de création d’une association consacrée à la cause des femmes. En novembre 2017, l’infirmière et blogueuse Naïmah Al-Matrod, impliquée dans le mouvement de lutte contre les discriminations dont est victime la minorité chiite du royaume, a été condamnée à six ans de prison. Depuis janvier, Noha Al-Balawi, une résidente de Tabouk, dans le nord de l’Arabie, est incarcérée sans charge. La police s’intéresse à son activité sur Twitter, où elle s’indignait aussi bien du système de la tutelle, auquel sont soumises les femmes, que des signes de rapprochement entre Israël et la couronne saoudienne.

Même les militantes qui restent à l’écart de sujets aussi sensibles que ceux-ci se heurtent à une chape de plomb. Samar Badawi, cheville ouvrière de la lutte contre le carcan patriarcal saoudien, a l’interdiction de voyager et de parler aux médias. Son frère, le libre-penseur Raef Badawi, a été condamné, en mai 2014, à dix ans de prison et mille coups de fouet pour avoir critiqué les autorités religieuses sur son blog. Riyad n’a pas plus de tolérance pour la dissidence en abaya (le voile noir qui recouvre tout le corps des femmes) que pour celle en dishdasha (la tunique blanche des hommes).