Un comité interministériel est consacré, jeudi 8 mars, aux droits des femmes. Dans un entretien au « Monde », la secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les hommes et les femmes, Marlène Schiappa, évoque les mesures que compte prendre le gouvernement en la matière notamment dans le secteur éducatif et dans le monde du travail.

Vous avez confirmé qu’au-dessous de l’âge de 15 ans, toute relation sexuelle avec un majeur serait passible de poursuites pour viol, dans le futur projet de loi sur les violences sexistes et sexuelles. Que répondez-vous à ceux qui redoutent une criminalisation des relations sexuelles entre des jeunes de 14 et 18 ans ?

Le gouvernement va effectivement proposer l’âge de 15 ans. Le texte, qui sera présenté le 21 mars en conseil des ministres, dit qu’au-dessous de cet âge, tout acte de pénétration sexuelle de quelque nature qu’il soit constituera un viol, lorsque l’auteur connaissait ou ne pouvait ignorer l’âge de la victime.

Parallèlement, toute atteinte sexuelle commise par un majeur sur un mineur de 15 ans constituera une agression sexuelle. Le projet est actuellement au Conseil d’Etat, donc sa rédaction précise peut évoluer. Mais il faut se souvenir que nous parlons de judiciarisation. La pénalisation ne sera pas automatique, il faudra qu’une plainte soit déposée pour que des poursuites soient engagées ! Ensuite, les magistrats garderont leur pouvoir d’appréciation. S’ils constatent l’existence d’une histoire d’amour entre deux personnes de 14 et de 18 ans, ils pourront abandonner les poursuites.

N’est-ce pas inscrire cet âge comme celui au-dessous duquel les rapports sexuels sont proscrits, en tout cas avec un majeur ?

C’est déjà le cas. La majorité sexuelle est fixée à 15 ans en France. Nous voulons faire en sorte que le viol soit condamné comme tel. Il est insupportable pour l’opinion publique que le fait de violer un enfant puisse être qualifié d’atteinte sexuelle, au seul motif que l’enfant avait l’air consentant.

Au cours du tour de France de l’égalité que j’ai conduit, de nombreuses personnes réclamaient un seuil plus élevé, au-delà de 16 ans en moyenne. Nous avons consulté des experts qui nous ont convaincus de la pertinence du seuil de 15 ans. Mon sentiment personnel est que c’est le bon seuil. Le président s’y est également déclaré favorable. A 13 ans ou 14 ans, on est trop petit, d’une maturité insuffisante pour consentir à un rapport sexuel avec un majeur.

L’amende contre l’outrage sexiste est parfois critiquée comme une mesure d’affichage, que répondez-vous ?

Affichage, certainement pas. Mais elle aura une valeur pédagogique. La mesure comporte deux volets. D’une part, le fait de mettre des amendes en flagrant délit. On nous dit souvent qu’une mesure comparable prise en Belgique ne fonctionne pas. Mais la loi en Belgique demande que les victimes aillent porter plainte, ce qui change absolument tout ! C’est pour s’affranchir de cette difficulté que nous avons choisi la verbalisation en flagrant délit. Le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, porte le sujet, les forces de l’ordre sont parfaitement en capacité de mettre en œuvre la mesure.

Il y a aussi une volonté d’affirmation que j’assume. Il est important que les lois de la République disent qu’il est interdit de menacer, d’intimider, de suivre des femmes dans la rue. Cela fait partie d’un combat culturel. On n’a jamais autant parlé du harcèlement de rue que depuis que nous avons décidé de le sanctionner. C’était un engagement de campagne du président de la République que nous tenons.

Ne craignez-vous pas d’être taxée de puritanisme ?

L’égalité femmes-hommes c’est le contraire du puritanisme, c’est se battre pour la liberté des femmes et des hommes et ça n’a rien de puritain ni de moralisateur. Nietzsche disait : « il n’y a pas de phénomènes moraux, il n’y a qu’une interprétation morale des
phénomènes »
. Ce n’est pas de la morale, c’est de la liberté, c’est cela l’enjeu.

Vous participez jeudi 8 mars à un comité interministériel pour l’égalité entre les femmes et hommes. En 2012, la ministre de l’éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem avait annoncé lors d’un événement comparable l’expérimentation des ABCD de l’égalité, pour lutter contre le sexisme dès l’école, avant de les abandonner deux ans plus tard. L’école ne doit-elle pas être un lieu central dans la lutte contre le sexisme ?

Si, bien sûr. Parmi la cinquantaine de mesures annoncées, certaines concernent l’école. Les ABCD de l’égalité avaient crispé l’opinion jusqu’à devenir contre-productifs. Nous n’allons clairement pas dans cette voie. Nous formons toute la communauté éducative à lutter contre les stéréotypes, à repérer les violences, à faire respecter l’égalité dans la vie quotidienne et dans l’orientation des élèves.

Des référents égalité seront nommés dans chaque établissement. Ils seront des interlocuteurs privilégiés, chargés d’identifier et de faire remonter les problèmes. Cela fait partie des bonnes pratiques que nous avons repérées lors du tour de France de l’égalité. Un volet égalité filles-garçons sera également créé dans la « mallette des parents » [site Internet à disposition des parents d’élèves], afin de faire de la pédagogie dans leur direction, notamment sur les questions d’orientation. Parfois, le frein vient de là.

Les séances d’éducation à la sexualité prévues ne sont pas toujours effectuées…

Le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, et moi sommes mobilisés. Il a déjà demandé aux rectorats de mettre en place les trois séances obligatoires. Pour faciliter cette mise en place, la liste de toutes les associations nationales et locales disposant d’un agrément pour intervenir en milieu scolaire leur a été communiquée.

Quelles nouvelles mesures concrètes pour l’égalité allez-vous mettre en œuvre ?

Je me suis aperçue lors du tour de France que personne n’avait d’informations fiables sur les places d’hébergement libres pour les femmes victimes de violences. Nous avons demandé aux services de l’Etat de créer une plate-forme de géolocalisation en temps réel de ces places, par département, accessible uniquement aux élus, aux associations, à la justice, aux travailleurs sociaux, à la police, aux urgentistes. L’Etat prend la main. Trop souvent, il s’est désengagé et a été suiviste, en laissant les associations faire. Il doit redevenir moteur, impulser les actions.

De plus, en 2018, 2 000 places seront réservées en hébergement d’urgence aux femmes victimes de violence. Dans le même ordre d’idée, une plate-forme de dialogue entre la police et les femmes victimes de violences sera lancée dans les prochains mois.

Des contrats locaux contre les violences seront créés dans chaque département de métropole et d’outre-mer par les préfets, comme cela existe déjà à Angoulême. Tous les acteurs déjà cités partageront leurs informations pour identifier le plus tôt possible les violences conjugales mais aussi intrafamiliales. Si une femme meurt encore tous les trois jours sous les coups de son compagnon, c’est parce que sa situation n’a pas été détectée assez vite.

Comment réduire les inégalités dans le monde du travail ?

Elles sont parmi les plus stables, les plus criantes et les plus visibles aujourd’hui. Le gouvernement a proposé dix actions clefs pour en finir avec les écarts de salaires injustifiés et faire progresser l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes aux partenaires sociaux. Nous créons également une « task force » composée d’entreprises privées volontaires et investies sur le sujet de l’égalité mais aussi d’entreprises publiques, pour ramener l’année 2234, calculée comme l’année de l’égalité professionnelle mondiale, à la fin du premier quinquennat du président. Elle proposera un plan d’action triennal pour remédier aux inégalités professionnelles.

Le manque de moyens nouveaux consacrés à l’égalité femmes-hommes est souvent reproché au gouvernement…

Le plan de géolocalisation, ce sont des moyens humains. La formation de la communauté éducative également. Les contrats locaux contre les violences ne demandent pas de moyens. Il faut sortir de la culture française où celui qui a le plus de budget fait mieux.

Nous avons un budget de 29,8 millions d’euros, alors que jamais plus de 22 millions d’euros par an n’ont été dépensés sous le précédent quinquennat. Il y a 420 millions d’euros en interministériel. Quand nous nous comparons à d’autres pays européens, nous sommes dans la fourchette haute.