Des modèles Renault au Salon international de l’automobile de Genève, le 6 mars. / Denis Balibouse / REUTERS

La dépêche de Reuters a fait l’effet d’une traînée de poudre dans les travées du Salon de l’automobile de Genève, qui vivait, mercredi 7 mars, sa seconde journée réservée à la presse, à la veille de son ouverture au public. « Renault et Nissan ont engagé des discussions sur un renforcement de leur alliance, qui pourrait déboucher sur le rachat par le constructeur japonais de l’essentiel de la part de 15 % détenue par l’Etat français dans le capital de Renault », affirmait l’agence de presse britannique, en citant des « sources proches du dossier » et en dévoilant le nom des banques conseils impliquées : BNP Paribas et Nomura.

Ainsi, le fil qui relie, depuis la Libération, la République française à l’ancienne Régie nationale des usines Renault serait en passe d’être coupé. Une révélation choc, à portée historique, et crédibilisée par le fait qu’elle est diffusée par une grande agence internationale et dans un contexte où l’Etat français a entamé une phase de « nettoyage » de son portefeuille de participations en lançant une vague de cessions d’actifs publics.

« Ce n’est pas une option possible pour le gouvernement »

La Bourse, en tout cas, y a cru, ou du moins a trouvé la nouvelle suffisamment explosive pour que l’action Renault monte aussitôt en flèche, allant jusqu’à prendre 12 % en fin d’après-midi avant de terminer la séance de mercredi en hausse de 5,64 % à 94,44 euros. Il faut dire que Reuters avait étayé sa dépêche de plusieurs détails, affirmant notamment que Carlos Ghosn, PDG de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, avait proposé de loger juridiquement les entreprises dans « une fondation néerlandaise, ce qui serait le prélude à une fusion complète au sein d’un groupe basé à Amsterdam ».

Mais les démentis ont rapidement fusé. « Toute discussion sur une opération d’achat d’actions impliquant Renault, Nissan ou l’Etat français relève de la pure spéculation, a fait savoir un communiqué du consortium automobile franco-japonais. Comme l’a annoncé, la semaine dernière, Carlos Ghosn, l’alliance explore des synergies plus profondes et une convergence opérationnelle accrue, mais n’envisage pas de modifier le ratio d’actionnariat croisé de ses sociétés membres. »

« Ce n’est pas une option possible pour le gouvernement français, confirme-t-on au ministère des finances. « On a demandé à Carlos Ghosn une consolidation de l’alliance, mais pas dans ce schéma précis. » Et une source proche du gouvernement d’enfoncer le clou : « Reuters fait fausse route, inutile de creuser de ce côté-là. »

« Cela s’apparente à de la manipulation de marché »

Certains responsables de la firme au losange, qui ont requis l’anonymat, soupçonnent une opération purement spéculative, soulignant le fait que l’information a été diffusée en cours de séance boursière. « L’Autorité des marchés financiers devra s’intéresser au sujet, renchérit un bon connaisseur du dossier du côté de Bercy. Lâcher comme cela que l’Etat est prêt à vendre tout ce qu’il détient dans Renault… Cela s’apparente à de la manipulation de marché. »

Toucher à l’équilibre du complexe montage qui régit les liens entre les trois membres de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi est incontestablement délicat. L’Etat français détient 15,01 % du capital, et surtout 21,93 % des droits de vote, chez Renault, lequel contrôle 43,4 % de Nissan, qui est actionnaire majoritaire (34 %) de Mitsubishi. Dans l’autre sens, Nissan est actionnaire de Renault à 15 % mais sans droits de vote.

En avril 2015, un sérieux conflit avait opposé le ministre français de l’économie d’alors – un certain Emmanuel Macron – à Carlos Ghosn sur le rôle et la part de l’Etat français dans la gouvernance de Renault et donc de l’alliance. Pour montrer sa détermination, Bercy avait acquis 4,7 % supplémentaires du constructeur au losange et imposé des droits de vote doubles.

Fin 2015, les deux parties avaient trouvé un compromis pour que l’Etat ne s’immisce pas dans la gestion opérationnelle du groupe. En novembre dernier, l’Agence des participations de l’Etat a soldé cet épisode en revendant cette part de 4,7 %, empochant au passage une belle plus-value de 55 millions d’euros.