Au cimetière de Stiavnik (Slovaquie), le 3 mars. / VLADIMIR SIMICEK / AFP

Editorial du « Monde ». Pour la deuxième fois en cinq mois, un journaliste d’investigation a été assassiné dans un pays membre de l’Union européenne. Jan Kuciak et sa compagne, Martina Kusnirova, tous deux âgés de 27 ans, ont été retrouvés tués par balles, le 24 février, dans leur maison de Velka Maca, à une heure de Bratislava.

En octobre, Daphne Caruana Galizia, journaliste à Malte, avait été tuée par l’explosion d’une bombe déclenchée dans sa voiture. Ces deux journalistes avaient en commun d’enquêter sur la corruption et la fraude au sommet de l’Etat, chacun dans son pays. Le premier article de l’enquête sur laquelle travaillait Jan Kuciak, publié après sa mort, fait état de liens entre deux proches du gouvernement, une conseillère du premier ministre slovaque, Robert Fico, et un collaborateur du conseil de sécurité, et des hommes d’affaires italiens liés à la mafia calabraise, la’Ndrangheta. Ces deux personnes ont démissionné, tout en niant toute responsabilité dans le meurtre de l’enquêteur et de sa compagne.

L’assassinat d’un journaliste est en soi un acte très grave. Il est particulièrement troublant lorsqu’il se produit dans une communauté d’Etats fondée sur les valeurs de la démocratie, de l’Etat de droit et de la liberté d’expression. Mais il l’est encore plus lorsque les autorités de l’Etat mis en cause ne réagissent pas de manière adéquate.

A Malte, trois suspects, des malfaiteurs notoires, ont été arrêtés et placés en détention. Leur silence n’a pas permis pour l’instant de lever le voile sur les commanditaires du meurtre de Daphne Caruana Galizia, et l’enquête piétine.

Bouc émissaire

A Bratislava, le comportement du premier ministre Fico depuis l’assassinat de Jan Kuciak est tout simplement confondant. Populiste de gauche réputé pour ses prises de position provocatrices, notamment à l’égard des journalistes, Robert Fico a d’abord pensé s’en sortir en offrant une récompense de 1 million d’euros, qu’il a exposés sous forme de piles de liasses de billets, comme dans les films policiers, à quiconque permettrait l’arrestation des coupables.

M. Fico a mal jugé le choc profond provoqué par le double meurtre au sein de la société civile slovaque, qui a très vite réagi. Le 2 mars, au soir de l’inhumation du jeune couple, 25 000 personnes ont protesté dans les rues de la capitale. Le ministre de la culture a démissionné. Le président de Slovaquie, Andrej Kiska, a mis en demeure le premier ministre de remanier son gouvernement ou de convoquer des élections anticipées. Robert Fico a alors tenté de détourner l’attention en attaquant le président et en trouvant un bouc émissaire bien connu dans la région, ennemi numéro un du dirigeant voisin, Viktor Orban : le milliardaire et philanthrope américain d’origine hongroise George Soros.

L’assassinat d’un journaliste secoue la classe politique slovaque
Durée : 02:31

Lundi, M. Fico a accusé le président Kiska d’avoir rencontré M. Soros, « un homme à la réputation douteuse », en septembre, à New York, et de chercher, poussé par cette influence étrangère, à déstabiliser son gouvernement. Sa ministre de la justice, membre d’un parti de coalition, lui a aussitôt reproché « de faire appel aux plus bas instincts avec des théories du complot ». Le premier ministre slovaque est à présent confronté à une véritable crise politique. Il doit à ses concitoyens, à la mémoire du couple assassiné et à ses partenaires de l’Union européenne de protéger enfin le travail des journalistes, au lieu de les insulter, et de tout mettre en œuvre pour établir les responsabilités dans le meurtre de Jan Kuciak.