Narendra Modi et Emmanuel Macron dans le jardin de l’Elysée, le 3 juin 2017. / JACQUES DEMARTHON / AFP

Après la Chine en janvier et avant de recevoir en juillet, à Paris, le premier ministre du Japon, Emmanuel Macron se rend dans l’autre géant asiatique, l’Inde, pour une visite d’Etat de plus de trois jours, du 9 au 12 mars. Attendu vendredi en fin de journée à New Delhi, le président de la République est accompagné de son épouse Brigitte Macron, de cinq ministres et de plusieurs parlementaires, ainsi que d’une délégation composée de nombreux dirigeants de grandes entreprises, PME et start-up. Il se rend dans le deuxième pays le plus peuplé au monde avec l’ambition d’y renforcer la présence française, encore timide.

Selon Paris, le marché indien est encore trop « limité » pour les investisseurs français. Les échanges commerciaux entre les deux pays sont certes équilibrés, mais restent faibles et dominés par le secteur aéronautique : l’Inde n’est que le 18e client de la France et son 20e fournisseur à l’échelle internationale. M. Macron entend donc vanter les mérites français, notamment en matière d’énergie, de défense et d’environnement, et plaider pour le libre-échange, quelques semaines seulement après que l’Inde a relevé ses taxes douanières, notamment sur les importations de panneaux solaires ou de pièces automobiles.

Profitant du départ des Britanniques de l’Union européenne l’an prochain, Emmanuel Macron souhaite que la France remplace le Royaume-Uni comme porte d’entrée de l’Inde sur le Vieux Continent. « Votre partenaire historique, traditionnel en Europe a toujours été le Royaume-Uni, et je veux que la France devienne le nouveau partenaire, le partenaire de référence du XXIe siècle », a-t-il déclaré cette semaine à l’hebdomadaire India Today.

Hélicoptères et Rafale

Le chef de l’Etat a eu les honneurs de la couverture du dernier numéro de ce magazine qui consacre plus de vingt pages à sa visite. « C’est la première fois qu’un président français fait la une de India Today », s’est empressé de faire savoir le cabinet élyséen, comme un signe selon Paris de l’importance du déplacement de M. Macron. Avec ses faux airs de la série House of Cards, la « une » d’India Today rappelle la mise en scène du portrait présidentiel officiel. Le chef de l’Etat y pose en contre-plongée, debout devant son bureau à l’Elysée, ses deux mains posées sur le meuble. Le menton haut, il affiche le sourire conquérant et l’insolence de sa jeunesse politique. « Macron le manager » y est décrit comme un « mâle alpha » à « l’allure sportive », qui « n’a pas peur d’user [en France] de méthodes non conventionnelles pour arriver à ses fins ».

Si M. Macron espère une moisson de contrats conséquente, la France n’est pour autant que le quatrième partenaire commercial de l’Inde dans l’UE, après l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Belgique. Selon les derniers chiffres de la direction du Trésor, l’Hexagone n’était que la 12e destination des investissements indiens en Europe, et la 65e dans le monde, entre avril et septembre 2017. Sur les 140 multinationales dont les dirigeants étaient invités au château de Versailles par le chef de l’Etat en janvier, seules trois étaient indiennes.

« Comme lors du voyage en Chine, on ne part pas en Inde avec une logique de compteur, mais il y aura des annonces », a déclaré la présidence française sans dévoiler l’ampleur ni la teneur des contrats et des partenariats envisagés. Les deux pays pourraient notamment conclure un accord qui permettra aux navires indiens d’accéder aux bases françaises de l’océan Indien, une zone où New Delhi s’inquiète de l’influence grandissante de la Chine.

Dans le secteur de la défense, l’Inde, qui s’est longtemps approvisionnée en matériels militaires russes, a acheté à la France six sous-marins Scorpène en 2005 (dont le premier a été livré en décembre 2017) et 36 avions de chasse Rafale en 2016. Paris espère convaincre New Dehli d’acquérir des Rafale et des Scorpène supplémentaires, ainsi que des hélicoptères Panther d’Airbus. Par ailleurs, la visite de M. Macron sera l’occasion de relancer les négociations sur la construction de six réacteurs nucléaires de type EPR, un projet vieux de huit ans qui n’a toujours pas abouti.

M. Macron et Narendra Modi, le premier ministre indien, doivent coprésider dimanche le premier sommet de l’Alliance solaire internationale (ASI), une coalition issue de la COP21 sur le climat, portée par l’Inde et la France et destinée à promouvoir l’énergie solaire dans les pays en développement. M. Macron doit également inaugurer la centrale solaire de Mirzapur, construite dans la région de l’Uttar Pradesh par Solairedirect, filiale d’Engie.

Entre une séance d’échanges avec des étudiants venus de plusieurs régions du pays et une rencontre avec des artistes et des intellectuels indiens, le couple présidentiel a aussi prévu de se rendre en petit comité à Agra, où se dresse le célèbre dôme de marbre blanc du Taj Mahal. Il ira ensuite à Bénarès, la ville sainte de l’hindouisme, pour une « croisière » de quelques minutes sur le Gange sacré avec M. Modi.

« Le chemin du Dharma »

Emmanuel Macron, qui ne s’est rendu qu’une fois en Inde, à Bangalore, lorsqu’il travaillait pour la banque Rothschild, veut convaincre les Indiens de sa passion pour leur pays. Il est peu probable, toutefois, que le président de la République s’habille en costume traditionnel ou danse sur de la musique pendjabie, comme le fit le premier ministre canadien Justin Trudeau lors de sa visite en février.

Dans la préface de l’édition indienne de son livre Révolution, sortie en décembre 2017, M. Macron dit avoir découvert l’Inde sur « le chemin du Dharma [l’enseignement du Bouddha] qui nous rend tous responsables – chacun d’entre nous dans nos domaines respectifs et en solidarité avec tous ». Il confie aussi avoir souvent pensé, dans ses combats, à cette phrase de Gandhi : « Vous devez être le changement que vous voulez voir dans le monde. » Le chef de l’Etat rend enfin hommage à la « passion pour le pluralisme » et au « dynamisme de la démocratie » dans une Inde nationaliste hindoue qui pourtant s’en éloigne.

Le journaliste d’India Today qui l’a rencontré à Paris note d’ailleurs que des ouvrages d’intellectuels indiens comme Ramachandra Guha ou Amartya Sen ont été posés sur son bureau à l’Elysée – des voix toutes très critiques du régime nationaliste hindou de Narendra Modi.

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