Imprévisible. C’est ainsi que de nombreux observateurs décrivent la désignation du prochain premier ministre éthiopien après la démission surprise de Hailemariam Desalegn, mi-février. La course à la primature s’inscrit dans un contexte très tendu, alors que l’état d’urgence – le deuxième instauré en moins de dix-huit mois – a été approuvé par la chambre basse du Parlement, vendredi 2 mars. Cette décision a été suivie par des manifestations qui auraient fait plusieurs morts et par un mouvement de grève – pourtant interdite sous ce régime d’exception – dans la région Oromia, la plus vaste du pays. Des militants de la diaspora et certains opposants politiques estiment que ce vote a été « truqué ».

Le Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (EPRDF, la coalition au pouvoir) est déjà très affaibli par plus de deux années de manifestations. La répression, qui s’est soldée par des centaines de décès et des milliers d’arrestations, n’a fait que renforcer l’animosité d’un large pan de la population à l’encontre du pouvoir, à commencer par les Oromo et les Amhara, qui représentent près des deux tiers des 94 millions d’habitants. Les manifestants faisaient notamment grief au Front de libération du peuple du Tigré (TPLF, l’un des partis de la coalition) de monopoliser les postes clés du gouvernement, de l’armée, des organes de sécurité et de l’administration depuis plus d’un quart de siècle.

Luttes intestines

L’Ethiopie avait pourtant réussi l’exploit de se forger une réputation de pays stable dans une région minée par les conflits et d’allié de l’Occident dans la lutte contre le terrorisme. Sa croissance fulgurante depuis plus d’une décennie – estimée à 8,5 % en 2017 par le Fonds monétaire international (FMI) – avait permis de balayer les images de corps faméliques d’un pays en proie à des famines meurtrières, malgré une grave sécheresse qui touche encore des millions d’Ethiopiens.

Le pouvoir doit désormais satisfaire une population excédée, qu’il avait un tant soit peu apaisée avec la libération de milliers de prisonniers depuis début janvier. Mais la reprise en main qu’implique le nouvel état d’urgence envoie des signaux contraires à ceux qui espéraient une ouverture du régime. D’aucuns évoquent même un retour à une répression de grande ampleur. L’avenir du pays est incertain et les attentes vis-à-vis du prochain premier ministre sont énormes. Il devra faire mieux que son impopulaire prédécesseur, Hailemariam Desalegn, qui n’avait aucune influence au sein de l’EPRDF. Les luttes intestines au sein de cette coalition au fonctionnement très opaque restent un mystère pour la plupart des observateurs.

Notre correspondante Emeline Wuilbercq s’est rendue dans plusieurs villes de la région Oromia et a rencontré une jeunesse à cran, déterminée à mettre un terme à l’oppression et aux violations des libertés. Elle a recueilli les confidences d’anciens prisonniers qui ont raconté l’enfer de leur détention. Dans cette série de reportages, Le Monde Afrique vous propose de prendre le pouls d’un pays qui vit une période charnière et dont la stabilité dépendra de la réponse du pouvoir central aux revendications populaires.

Sommaire de la série « L’Ethiopie à cran »

Entre état d’urgence et signes d’ouverture, Le Monde Afrique prend le pouls d’un pays qui vit une période charnière.

Présentation de la série : L’Ethiopie à cran