Editorial du « Monde ». C’est la nouvelle bataille de Paris. Le sujet est à ne surtout pas aborder dans un taxi. L’objet de la querelle ? Ces 3 300 mètres de quais sur la rive droite de la Seine, qui hystérisent la vie parisienne depuis leur fermeture à la circulation automobile, en octobre 2016. Un rassemblement est organisé samedi 10 mars là où Paris Plages déploie ses transats l’été, avec comme cri de ralliement : « Des poussettes contre la pollution ! Non au retour des voitures ! »

Car le vrombissement des moteurs thermiques menace de chasser les promeneurs de ce tronçon de la voie Georges-Pompidou, cette autoroute urbaine traversant la capitale d’ouest en est. Le tribunal administratif de Paris a annulé la fermeture des voies sur berges le 21 février, au motif que l’étude d’impact environnemental comportait « des inexactitudes, des omissions et des insuffisances ».

Cette décision a obligé Anne Hidalgo à prendre un nouvel arrêté, le 8 mars. Pour éviter qu’il soit à son tour rejeté, la Mairie de Paris a soigneusement gommé toute référence à un objectif de réduction de la pollution atmosphérique ou de santé publique, se contentant d’invoquer la valorisation patrimoniale d’un site hautement touristique.

2 500 morts prématurées

Les voies sur berges, au centre de toutes les crispations, ne représentent que 0,16 % du kilométrage francilien. Mais leur fermeture s’inscrit dans une politique plus large de restriction de la place de la voiture dans la cité. Paris n’est pas la première ville du monde, ni de France, à s’attaquer à ce chantier. Bordeaux et Lyon ont achevé il y a bien longtemps leur reconquête des quais de la Garonne et du Rhône.

Mme Hidalgo a voulu aller plus loin, en instaurant les fameuses vignettes Crit’Air pour bannir progressivement les véhicules les plus polluants. D’ici à 2024, année où Paris accueillera les Jeux olympiques, les diesels ne pourront plus y circuler. En 2030, ce sera au tour des voitures à l’essence. Dans ce combat contre la pollution, la maire de Paris n’avance pas à contresens, elle ouvre la voie. Nicolas Hulot, ministre de la transition écologique et solidaire, veut en finir avec le moteur thermique à l’échelle du pays à l’horizon 2040. Certaines villes d’Allemagne, comme Stuttgart, berceau de Porsche et de Mercedes, envisagent même désormais de barrer leurs rues au diesel.

Valérie Pécresse, la présidente de la région Ile-de-France, a beau critiquer la « méthode autoritaire » de sa rivale politique, Mme Hidalgo a raison de viser les véhicules polluants. Question de santé publique. Un Parisien sur deux est surexposé au dioxyde d’azote, majoritairement émis par le trafic routier. Des dépassements qui concernent également d’autres agglomérations et valent à la France d’être sous la menace d’un renvoi devant la Cour de justice de l’Union européenne. Les rejets de gaz toxiques sont responsables d’environ 48 000 morts prématurées en France chaque année, dont 2 500 à Paris.

Reste tous ces automobilistes désorientés que l’Etat a, pendant des décennies, incités à investir dans le diesel. Les alternatives font encore défaut. Les modèles électriques ou hybrides restent chers. Le changement d’opérateur des vélos en libre-service tourne à l’accident industriel. Les métros et RER sont en surchauffe.

L’Allemagne, qui est aussi dans le collimateur de Bruxelles, envisage la gratuité des transports en commun dans certaines villes. A Paris, cette mesure a déjà été expérimentée lors des pics de pollution. Valérie Pécresse y a mis fin. A la gratuité, pas aux pics.