A Futaba, dans la préfecture de Fukushima au Japon, le 5 mars 2018. / BEHROUZ MEHRI / AFP

Défi au gouvernement. Volonté de relancer le débat sur l’usage de l’atome pour la production d’électricité. Véritable ambition politique. Il y a un peu de tout cela dans le projet de loi prévoyant la sortie du nucléaire déposé, vendredi 9 mars, par quatre partis de l’opposition japonaise, à commencer par le Parti démocrate constitutionnel (PDC), qui avait fait campagne sur ce point lors des législatives d’octobre 2017.

Le texte prévoit d’arrêter tous les réacteurs d’ici cinq ans et de réduire de 30 % les besoins annuels en électricité d’ici 2030, par rapport au niveau de 2010. Il souhaite porter à 40 % la part des renouvelables. Pour financer le démantèlement des réacteurs, leur nationalisation est envisagée. « Le nucléaire pose des problèmes comme l’accumulation des déchets ou l’exposition des travailleurs aux radiations, a expliqué Yukio Edano, le dirigeant du PDC, qui a fait une tournée dans tout le Japon pour promouvoir ce texte. L’idée se généralise qu’il représente un risque pour l’humanité et dépasse les connaissances actuelles. »

Sept ans après la catastrophe de Fukushima de mars 2011, la défiance des Japonais envers l’atome reste réelle. Dimanche 11 mars, jour anniversaire de la pire catastrophe nucléaire depuis Tchernobyl, les opposants à l’atome ont appelé à manifester. Indépendamment de l’initiative du PDC, la sortie du nucléaire est aussi promue par les anciens premiers ministres, Junichiro Koizumi – mentor de Shinzo Abe, l’actuel premier ministre –, Morihiro Hosokawa ou encore Naoto Kan, qui dirigeait le gouvernement au moment de la catastrophe.

L’unanimité à soutenir l’atome semble se fissurer dans le cabinet du premier ministre japonais

MM. Koizumi et Hosokawa ont eux aussi travaillé sur un projet de législation pour sortir du nucléaire avec l’ONG Genjiren. « Les défenseurs du nucléaire privilégient leurs propres intérêts à ceux de la population et de l’environnement », a déploré M. Koizumi lors d’une conférence de presse, le 7 mars, au Club des correspondants de la presse étrangère.

Un point qui rappelle les critiques formulées au moment de la catastrophe sur l’opacité du « village nucléaire » nippon, une coterie de politiciens, d’industriels et d’universitaires jugée responsable du drame dont la résolution devrait prendre une quarantaine d’années et coûter, selon une estimation d’avril 2017 du Centre d’études économiques JCER, 70 000 milliards de yens (624 milliards d’euros). Le gouvernement, lui, l’estime à 22 000 milliards de yens (196 milliards d’euros).

A la centrale, les progrès pour le démantèlement sont réels mais lents. La Compagnie d’électricité de Tokyo (Tepco, responsable de Fukushima) doit notamment résoudre les problèmes de l’extraction du corium, le combustible fondu de trois réacteurs, et de l’eau contaminée, issue du refroidissement des réacteurs endommagés. 850 000 tonnes ont été accumulées.

La relance du débat intervient au moment où le gouvernement Abe prépare un nouveau cadre d’orientation pour l’énergie. La dernière révision date de 2014. Elle fixait la part du nucléaire à 20-22 % en 2030 – contre 28 avant Fukushima –, celle des renouvelables à 22-24 %, celle du gaz à 27 % et celle du charbon à 26 %. L’atome était alors considéré comme l’une des sources d’énergie « de base ». Ce texte avait enterré l’objectif, fixé en 2012 par l’administration précédente, d’une sortie du nucléaire d’ici à 2040.

« Lamentables »

Au sein du cabinet Abe, l’unanimité à soutenir le nucléaire semble se fissurer. Le ministre des affaires étrangères, Taro Kono, connu pour son hostilité à cette énergie, a profité d’une conférence à Abou Dhabi, le 17 janvier, pour critiquer les objectifs d’utilisation des énergies renouvelables, les qualifiant de « lamentables » et en retard car « le pays privilégie le statu quo par peur du changement ».

En janvier, quand MM. Koizumi et Hosokawa ont abordé leur projet, le porte-parole du gouvernement, Yoshihide Suga, maintenait de son côté l’objectif de redémarrage des réacteurs. « Nous cherchons également à réduire la dépendance au nucléaire autant que possible en augmentant l’usage des renouvelables et par la mise en œuvre de mesures d’économies d’énergie », avait-il toutefois nuancé.

Proche d’une industrie inquiète des conséquences financières d’une sortie du nucléaire, le gouvernement Abe cherche à relancer 42 réacteurs sur les 54 en fonctionnement avant le 11 mars 2011. Après la catastrophe, l’ensemble du parc avait été mis à l’arrêt, faisant bondir les importations de combustible pour centrales thermiques. Mais le processus de redémarrage reste lent et complexe. Cinq réacteurs ont repris du service, 19 autres attendent une autorisation de redémarrer.

Outre les coûts d’adaptation aux nouvelles normes de sécurité édictées après Fukushima, qui s’élèveraient à près d’un milliard de dollars par réacteur, la relance se heurte aux réticences des populations. A la centrale de Kashiwazaki-Kariwa, gérée par la Tepco, le gouverneur du département de Niigata, Ryuichi Yoneyama, s’y oppose. Il estime que les causes réelles de la catastrophe de Fukushima restent à déterminer, de même que l’impact réel d’un accident nucléaire sur le corps humain et la vie quotidienne.

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