Depuis trois semaines, le centre d’information et d’orientation (CIO) d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) ne désemplit pas – ou à peine. « Plus de trois cents lycéens ont participé aux ateliers autour de l’orientation, organisés durant les vacances de février, explique Sylvie Amici, qui travaille dans ce CIO et préside l’Association des psychologues de l’éducation nationale. Ce mercredi de rentrée, ils étaient encore une quarantaine. » Une « popularité » peu habituelle. 

C’est qu’il y a urgence : les 700 000 élèves de terminale ont jusqu’au mardi 13 mars, 18 heures, pour finaliser leurs vœux d’orientation dans l’enseignement supérieur sur la nouvelle plate-forme Parcoursup, qui a succédé au portail Admission post bac. Autant dire que ce dernier week-end promet un taux de connexion record.

Car, à écouter le personnel d’éducation, les élèves sont loin d’être tous dans les temps. Et certains encore moins que d’autres : une « note d’alerte », adressée le 2 mars par l’académie de Créteil aux professeurs principaux de terminale, fait état de plus d’un élève sur deux n’ayant coché aucun des dix vœux possibles dans cette nouvelle procédure d’orientation. C’est sept points de plus dans cette académie, une des plus vastes et des plus difficiles de France métropolitaine, qu’au niveau national. Dans la voie professionnelle, les trois quarts des élèves n’avaient pas encore formulé de vœux à la fin février, peut-on lire dans ce document que Le Monde a consulté.

« Je vous demande d’alerter les professeurs principaux sur ces éléments et de les inviter à assurer le suivi des candidatures de leurs élèves, afin qu’un accompagnement spécifique soit mis en place lors de cette dernière semaine de formulation des vœux », écrit-on au rectorat. Sollicité par Le Monde, ce dernier temporise, en rappelant que les lycéens sont toujours nombreux à faire leurs choix « dans les derniers jours ».

« Génération ballon d’essai »

Il n’empêche, l’inquiétude se fait entendre, et pas seulement à Créteil : dans les académies de Versailles, de Paris, d’Amiens ou de Lille, les élèves amorcent difficilement cette dernière ligne droite. En cause, notamment, le calendrier. « Les lycéens ont une semaine de moins pour se prononcer, fait valoir Claire Guéville, l’une des porte-parole du syndicat SNES-FSU, majoritaire. C’est encore plus difficile avec la proximité du retour des vacances, la zone B [Aix-Marseille, Rennes, Nantes, Strasbourg…] ne rentrant de congés que lundi 12, à J – 1 de la clôture de la procédure ! »

Et le bouleversement des règles n’aide pas. « Nous sommes déjà débordés par la préparation du bac, s’énerve-t-on à l’Union nationale lycéenne. Il y a plein de choses qu’on ne comprend pas sur Parcoursup, des bugs ; on n’arrive pas à faire des sous-vœux en licence dans plusieurs facs. » Dans certains CIO, ce sont deux journées entières qui ont été nécessaires pour répondre aux questions des familles. Un fonctionnement « clairement plus dissuasif », estime une conseillère d’Ile-de-France. Désormais, il est demandé aux lycéens d’écrire un CV ou des lettres de motivation pour chaque vœu, y compris en licence universitaire, explique-t-elle. Ou de s’informer sur les “attendus” des formations… Mais ils sont incompréhensibles pour un lycéen normal ! »

Peu compréhensibles, parfois aussi, pour les enseignants, tenus de comprendre les rouages d’une réforme à peine promulguée. « Cette fragilité que nous avons pour répondre à leurs questions, les lycéens la ressentent, reprend Claire Guéville. Et c’est générateur d’anxiété, notamment chez les jeunes les moins accompagnés par leurs familles. » Au-delà de l’outil technique, certains profs avouent aussi avoir du mal à saisir toutes les subtilités des règles à l’entrée de l’université. « On nous demande de lire entre les lignes pour comprendre comment seront sélectionnés les élèves, témoigne Martine Clodoré, du SNES-Créteil. Il est clair que ce sera une génération ballon d’essai. »

Baisse générale

Une vision que nuancent les proviseurs du SNPDEN-UNSA pour qui le nouveau système ne constitue pas une « révolution technique ». « Si souci il y a, on ne le saura que le 22 mai » – date des premières réponses des universités aux lycéens –, assure le secrétaire général, Philippe Tournier.

D’après les chiffres qui s’affichent déjà sur les tableaux de bord des universités, la baisse du nombre de vœux apparaît générale, par rapport à 2017. A Lille, ce sont 50 % de vœux en moins reçus pour l’instant par l’université, à quatre jours de la clôture de la procédure ; à l’université de Nanterre, 39 000 vœux étaient comptabilisés, contre 50 000 à la même époque l’an dernier. Pas d’inquiétude pour autant dans les milieux universitaires, où l’on rend responsables de cette diminution les évolutions techniques (moins de vœux, fin des licences à « pastille verte » obligatoires à cocher, etc.).

« J’ai alerté sur le fait que les chiffres paraissent très bas, confie le vice-président de l’université Paris-XIII, Olivier Oudar. Mais nous sommes tout proches de la clôture, et ça bouge à toute allure. » De jour comme de nuit, les responsables ont vu, ces derniers jours, bondir leurs statistiques de plusieurs milliers de clics.