Circuit de Catalogne le 8 mars. L’habillage du Halo a été laissé à la discrétion des écuries. / ALBERT GEA / REUTERS

C’est un pic, c’est un cap, c’est un halo : comme le nez au milieu du visage de Cyrano, impossible de ne pas voir cet arceau en « V » posé au-dessus du cockpit des Formule 1 et qui prend appui devant les yeux des pilotes pour mieux les protéger. C’est « la » nouveauté du championnat 2018 qui débute à Melbourne le 25 mars. Ingénieurs, techniciens, patrons d’écurie ont eu six mois pour s’adapter à l’appendice en titane imposé par la FIA, le fameux halo (auréole en anglais). Les pilotes, eux, n’ont disposé que de huit jours, lors des essais hivernaux qui se sont terminés le 9 mars à Barcelone, pour appréhender ce nouveau dispositif.

Ce sont bien ces derniers, précise la Fédération internationale de l’automobile (FIA), qui l’ont initié. En juillet 2016, le syndicat des pilotes de F1, (Grand Prix Drivers Association, GPDA) a ainsi demandé à la FIA une forme de protection du cockpit frontal « le plus rapidement possible ». En cause, les morts d’Henry Surtees, fils du champion du monde de F1 John Surtees, en juillet 2009, et de Justin Wilson en Indycar, le 24 août 2015, tous deux frappés à la tête par un objet propulsé dans les airs.

Un immense changement pour les pilotes

Le halo représente néanmoins un immense changement pour les pilotes. Ce n’est pas la barre verticale dans leur champ de vision qui les gêne le plus. L’épaisseur et sa distance ont été calculées de telle sorte que la vision naturellement stéréoscopique de l’homme – sa capacité à faire converger le regard de ses deux yeux – en atténue l’épaisseur. Ainsi « Après deux tours, on oublie complètement le support », s’est réjoui Carlos Sainz Jr (Renault).

Plus délicate est la perte de visibilité. En hauteur, elle peut empêcher de voir les feux de départ. Le pilote Haas Romain Grosjean relativise toutefois en rappelant que sur le circuit de Monaco, il lui est arrivé de ne voir qu’un feu sur les 5… Et sans halo.

Caméra embarquée à bord d'une F1 sur le circuit de Catalogne lors des essais hivernaux. / INSTAGRAM

« Personnellement je ne suis pas encore habitué » reconnaît Esteban Cocon (Force India), à l’issue de ses premiers tests. « Nous avons juste besoin d’apprendre à conduire avec, résume le jeune Français. Cela a certainement un impact sur votre visibilité, (…) mais les avantages en termes de sécurité sont importants. Je sais que certains fans n’aiment pas ça, mais je pense qu’ils s’y habitueront assez rapidement. » « La sécurité est la priorité », rappelle la jeune pilote essayeuse de Sauber Alfa Roméo, relayant à Barcelone le message officiel, de Lewis Hamilton à Sebastian Vettel.

C’est pourtant sur ce point crucial que Romain Grosjean avait émis des doutes dès le 26 août 2017, au moment de l’annonce par la FIA. Il s’exprimait alors en tant que nouveau directeur du DGPA : « Le halo paraît vraiment efficace pour nous éviter d’être touché par un pneu qui se détacherait, mais il pose aussi beaucoup de questions », comme, en cas d’incendie, celle du temps d’extraction de la voiture qui a été augmenté. Lorsque l’on demande quelque six mois plus tard à Romain Grosjean s’il se sent plus en sécurité aujourd’hui, il laisse planer un long silence avant de lâcher un lapidaire : « Non. »

Les ingénieurs ont fait le job

Chez les ingénieurs, la satisfaction du devoir bien accompli domine. Prévenus officiellement en juillet 2017, ils ont fait le travail : intégrer et fixer sur les cockpits un halo de 10 kg, pour tous le même, capable de résister à une charge de 12 tonnes. Le plus compliqué pour eux a été de le faire à poids quasi constant, les monoplaces étant limitées à 733 kg, pilote inclus. Le centre de gravité a également été déplacé, d’où certaines modifications aérodynamiques.

« Heureusement, nous avions déjà travaillé sur un halo en 2016, tempère Nike Chester, directeur technique châssis chez Renault Sport F1. Nous avions étudié toutes les éventualités. Cela a été relativement facile et bien mené. » Avant de rappeler : « Nous avons eu des pilotes qui sont morts à cause de projectiles. C’est donc une bonne chose. »

La Mercedes de Lewis Hamilton, le 9 mars sur le circuit de Barcelone. / ALBERT GEA / REUTERS

Pour les patrons d’écuries, le débat est fini

Les patrons, eux, sont moins enthousiastes. Le « Donnez moi une tronçonneuse que je l’enlève ! » du patron de Mercedes Toto Wolff fin février restera dans les annales. Quatre arguments reviennent régulièrement. D’abord, le halo n’est pas esthétique. Ensuite, il ne s’inscrit pas dans l’ADN de la F1. « Si vous carénez les roues ou si vous couvrez la tête des pilotes, ce n’est plus de la F1 », assure un responsable. Enfin, cela déplaît aux fans, qui ont largement moqué le halo via les réseaux sociaux. Or le fan étant une denrée qui se raréfie, autant ne pas le contrarier. Seule solution, « remettre l’humain, c’est-à-dire le pilote, au cœur de la F1. » Pas gagné, derrière ses lunettes opaques, son casque et maintenant son halo.

Le temps a aussi posé problème. Cyril Abiteboul, directeur général de Renault Sport, et Eric Boulier, directeur sportif de McLaren, insistent. « Cela a pris des mois ! », lance ce dernier. Et ce temps représente « plusieurs centaines de milliers voire un million de dollars » de coûts supplémentaires, évalue le directeur des opérations Andrew Green de Force India. Néanmoins, Frédéric Vasseur, patron de Sauber Alfa Roméo, y voit toutefois plus d’avantages que d’inconvénients, en particulier en matière de sécurité : « Indéniablement, [le halo] est une protection pour le pilote. »

Indéniablement ? Le halo n’aurait pas empêché la mort de Jules Bianchi, qui a percuté un engin de levage lors du Grand Prix du Japon de 2014, et certains dénoncent une forme d’hypocrisie. « La FIA joue sur du velours, confie un responsable de communication. Qui va dire qu’elle ne veut pas plus de sécurité pour les pilotes ? » « Maintenant c’est un débat du passé, stoppe, pragmatique, Cyril Abiteboul. Le halo existe, il est là », après un vote à l’unanimité des écuries, condition à toute décision prise par la FIA. « Maintenant il faut l’exécuter du mieux possible. » Sur la piste refaite du circuit Catalunya, les voitures tournent à des vitesses jamais atteintes.