Documentaire sur France 5 à 22 h 40

Durant la Grande Guerre, il ne fait pas bon être une institutrice syndiquée portant des vêtements masculins, féministe de surcroît. Et comme elle adhère au Comité international des femmes pour une paix permanente, Hélène Brion est suspecte. Bientôt suspendue, arrêtée pour propagande défaitiste, elle plaide la cause du féminisme, se jugeant iniquement poursuivie pour un délit politique puisqu’elle n’a pas les droits d’un citoyen dans une démocratie où le suffrage n’est universel qu’au masculin. Condamnée à trois ans de prison avec sursis, révoquée, elle va s’attacher à composer une Encyclopédie féministe dont elle reprend inlassablement l’index, découvrant que la seule identité concédée aux femmes tient dans leur prénom, le nom restant la marque d’une aliénation paternelle ou maritale.

Sans doute est-ce pour cela que Mathilde Damoisel n’a désigné les héroïnes phares de son documentaire sur l’histoire des féministes françaises que par leur prénom, Simone, Louise ou Olympe, remontant le temps, de l’auteure du Deuxième sexe (1949) à celle de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791).

Poids excessif des icônes

Ce parti pris a son revers. Si le long combat des femmes pour leur émancipation politique est rappelé, il s’appuie sur quelques figures célèbres (Olympe de Gouges donc, Flora Tristan, George Sand même, pourtant rétive à ce type de lutte collective, Louise Michel, plus tard Louise Weiss, Berty ­Albrecht, Simone de Beauvoir, ­Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé – curieusement mal orthographiée – Evelyne Sullerot ou Gisèle Halimi) plutôt que sur les champs qui ont nourri ces militantes : l’éducation, la science, la justice sociale et la représentation civique.

Et si l’on se réjouit de la place faite à Hubertine Auclert et à ses coups d’éclat médiatiques, pourquoi la préférer à Jeanne Deroin ou Désirée Gay, héroïnes de 1848, ou taire l’apport de la saint-simonienne Claire Démar ou des éducatrices Elisa Lemonnier et Marie Pape-Carpantier ? Ce souci d’établir un panthéon « grand public » a ses vertus aussi : Marguerite Durand et son quotidien féministe, La Fronde, lancé quand éclate l’affaire Dreyfus, ou Madeleine Pelletier, psychiatre qui revendique le bien-fondé de l’avortement, méritent mieux que l’oubli ; mais Marguerite Thibert, féministe et haut fonctionnaire internationale, dont Françoise Thébaud vient de livrer la Traversée du siècle (Belin, 2017) tout autant. Affaire de choix bien sûr.

Soutien à la candidature symbolique de Louise Weiss aux élections municipales en 1935. / © Morgane Productions

Heureusement, le second volet, plus fluide, dissipe la plupart de ces réserves pour s’emparer d’une notion du collectif qui tempère le poids excessif des icônes. Même Beauvoir, très présente, l’est pour sa pensée bien plus que pour son parcours biographique ; et la fameuse cérémonie à l’Arc de triomphe, le 26 août 1970, où Monique Wittig, Christine Delphy, Anne Zelensky, Christiane Rochefort et quelques autres, devant la tombe du soldat inconnu, commémorent le 50e anniversaire du suffrage féminin américain en proclamant qu’« un homme sur deux est une femme », prend là toute sa force.

On regrettera toutefois que l’épopée s’arrête au début des années 1980, la piste proposée pour notre époque – la réinvention du féminisme par la lutte élargie contre toutes les discriminations – sonnant juste. De l’importance de ne pas conclure à tout prix quand il reste tant à faire.

Simone, Louise, Olympe et les autres : la grande histoire des féministes, de Mathilde Damoisel (Fr., 2 × 52 min).

Le second volet sera diffusé dimanche 18 mars à 22 h 35.