Marine Le Pen, réélue à l’unanimité, dimanche 11 mars, à la présidence du Front national lors du congrès du parti, à Lille, a proposé à ses adhérents de rebaptiser le parti d’extrême droite « Rassemblement national ». La nouvelle appellation, conçue parallèlement à une retouche des instances, doit être soumise à un vote des adhérents organisé par correspondance dans les semaines à venir.

Au lendemain du congrès du parti, le sociologue et politologue Erwan Lecœur, coauteur du Dictionnaire de l’extrême droite (Larousse, 2007), a répondu aux questions des internautes lors d’un chat sur le site du Monde.fr.

Comment analysez-vous la venue de Stephen Bannon au congrès du FN ?

Erwan Lecœur : Steve Bannon, c’est un peu le magicien qui a fait gagner un populiste. Il est en tournée en Europe pour expliquer aux mouvements populistes nationalistes que le vent de l’histoire est avec eux et comment réussir à accéder au pouvoir, comme il l’a fait avec Donald Trump. Cette intervention a permis à Marine Le Pen de remplir deux objectifs urgents : en externe, polariser l’attention médiatique ; en interne, montrer à sa base radicale qu’elle n’avait pas renié certaines idées et que le changement (de nom) n’était pas reniement, mais volonté de gagner.

Le nom « Rassemblement national » existerait déjà et serait un mouvement politique. Le nom aurait même déjà été déposé. Est-ce vrai ? Si oui, Marine Le Pen va devoir changer de proposition de nouveau nom pour le parti ? Peut-elle utiliser le nom « RN » si celui-ci a été déposé ? Merci d’avance.

Il semble, en effet, que ce nom ne soit pas disponible. Et que son propriétaire n’ait pas du tout envie de céder ses droits sur l’appellation déposée. Cela pose problème, car le nom avait une histoire. Il avait été utilisé par l’avocat d’extrême droite Jean-Louis Tixier-Vignancour (campagne de 1965, dirigée par un certain Jean-Marie Le Pen), puis par Le Pen en 1986 et ensuite : il servait à désigner l’ouverture du FN lors d’élections, notamment à des pans de la droite qui ne voulaient pas entrer au FN.

Du coup, la consultation lancée auprès des adhérents va être polluée par ces affaires et cette longue histoire. Le mélange entre politique et juridique n’est pas nouveau chez les Le Pen ; le nom de Front national avait lui aussi été contesté à Jean-Marie Le Pen par d’anciens militants dès 1973, puis par Bruno Mégret en 1999. Le Pen avait gagné à chaque fois. Mais il n’est pas impossible que, cette fois, Marine Le Pen perde devant les tribunaux, si elle essaie de passer en force. Ce serait une pierre de plus dans son jardin.

Marine Le Pen a-t-elle évoqué au congrès une alliance avec Wauquiez ou Philippot pour les prochaines élections ?

Non, elle n’a pas évoqué d’alliance particulière, sauf en rappelant celle avec Dupont-Aignan, mais elle a martelé la nécessité d’une « ouverture » à d’autres forces politiques, pour pouvoir gouverner un jour. C’est toute la difficulté de l’exercice : elle estime que le clivage gauche-droite est dépassé, elle ne veut pas d’alliance privilégiée avec la droite (contrairement à une partie de ses cadres, et sa nièce), mais elle propose un nouveau nom qui rappelle la droite du Rassemblement pour la République (RPR). Et en face, Laurent Wauquiez espère attirer les électeurs déçus du FN, tout comme Florian Philippot. Au fond, le RN doit permettre de sortir de cette situation de faiblesse, en reprenant l’initiative, médiatique, puis politique.

Qu’en est-il de la scission avec Florian Philippot ? Marine Le Pen et Florian Philippot se parlent-ils encore ? Combien d’élus ont rejoint ce dernier ?

Pour le moment, le mouvement de Florian Philippot reste marginal et ne concerne que quelques milliers de militants et quelques élus. Il n’a pas réussi à faire une scission, comme Bruno Mégret en 1998, qui avait emporté la moitié du FN de l’époque.

On ne sait pas si Florian Philippot et Marine Le Pen se parlent. Ils laissent entendre que non, jouent la carte de la division et semblent vouloir s’ignorer. Elle fait comme son père avant elle : moquer les espoirs de tout challenger dans la « galaxie ». Elle espère pouvoir rebondir avec le changement de nom. Philippot connaît l’histoire, il pense avoir raison sur le fond et sur la stratégie, mais il sait que sa tentative doit rapidement prendre de l’ampleur pour réussir. Sinon, il sera un parmi les multiples mouvements issus du FN qui vivent et survivent dans cette famille politique.

Pourquoi Marine Le Pen veut-elle changer de nom ? Est-ce que ça signifie que la ligne politique du FN va changer ?

Non, il ne s’agit pas de changer la ligne politique mais plutôt de relancer une dynamique de « rassemblement » pour espérer arriver au pouvoir un jour. Il s’agit de rassurer les déçus de la dernière élection présidentielle en interne et de répondre aux critiques qui demandent de nouvelles alliances. Et il y a aussi une dimension symbolique et familiale, chez les Le Pen : le FN, c’est le parti de Jean-Marie. Le RN, c’est Marine, comme elle avait déjà créé le « Rassemblement Bleu Marine ».

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Quels sont les arguments des militants qui sont contre un changement de nom ?

Pour la plupart, les militants estiment que le nom fait partie de l’ADN de « leur » parti. Et que le changer serait renier ce qu’ils ont défendu depuis des années, contre le reste du « système ». Ils y sont attachés, comme ils restent attachés à la figure de Le Pen (père), même s’ils reconnaissent qu’il peut nuire à l’accession au pouvoir. Le FN est un parti « famille », qui encadre les militants, les forme, les rassure. Le lien au nom n’est pas seulement politique, il est aussi affectif.

Bonjour, y a-t-il eu consultation des adhérents pour proposer ce nouveau terme de « Rassemblement national » ?

Il y a eu un travail de consultation des adhérents (non public) ces derniers mois qui portait sur plusieurs sujets, dont l’opportunité de changer de nom. Le résultat est très serré, d’après la direction du FN : 52 % de personnes favorables à un changement. C’est peu. Et depuis hier, il y a une consultation en cours, par correspondance, sur le nouveau nom proposé. Il sera sans doute suivi par huissier et permettra de faire parler du FN-RN pendant quelques semaines.

Quand on fait des recherches sur le RN, on s’aperçoit qu’historiquement ce parti est d’idéologie fasciste, voire néonazie. Si un changement de nom du FN était nécessaire pour la dédiabolisation, c’est plutôt mal parti, non ? Comment le FN va-t-il faire pour redorer son image après cet événement, maintenant qu’on risque de l’associer avec cet ancien parti ?

En effet, l’expression « Rassemblement national » est déjà connotée historiquement. L’avocat d’extrême droite Jean-Louis Tixier-Vignancour, mais aussi le Rassemblement national populaire de Déat (1942), et le parti créé plus récemment qui porte déjà ce nom sont également issus de cette tradition de la droite antigaulliste. Mais le terme de « rassemblement » est aussi plus ouvert que celui de « front », qui avait une connotation guerrière, en même temps qu’une dimension de rassemblement électoral, voulue par ses créateurs d’Ordre nouveau, en 1972.

Pour Marine Le Pen, l’objectif est de donner le sentiment qu’elle rénove le FN pour l’ouvrir à de nouvelles alliances pour accéder au pouvoir, mais aussi de rassurer sur les fondamentaux, face à Wauquiez et Philippot, qui lui disputent ses électeurs sur des bases proches. Donc, un petit air de « radicalité historique » n’est pas forcément mauvais, pour cela.

Marine Le Pen a été réélue à l’unanimité à la tête du FN. Est-ce que ça signifie qu’elle a réussi à redorer son blason auprès des militants après son débat raté à la présidentielle face à Macron ?

Auprès des militants, elle apparaît comme incontournable et elle a réussi à resserrer les rangs, malgré les difficultés dans l’opinion, liées à la déception de la présidentielle. Cela veut aussi dire qu’elle a mené à terme la « marinisation » du parti dont elle a pris la tête fin 2010. Elle a désormais placé ses proches à tous les niveaux de pouvoir et elle tient le parti, sans opposition forte. Bruno Gollnisch et Marion Maréchal Le Pen ne pèsent plus beaucoup en interne. Par ailleurs, il n’y avait pas d’autre candidat(e), donc l’unanimité est plus aisée. Florian Philippot a choisi de créer son mouvement. Et Marion Maréchal Le Pen de faire une pause.

La ligne politique actuelle du FN est-elle celle d’avant ou d’après l’alliance avec Dupont-Aignan ? MLP a-t-elle définitivement abandonné certaines mesures, comme, me semble-t-il, la fin de la scolarité gratuite pour les enfants sans papiers ?

La ligne politique actuelle doit, en effet, revenir aux fondamentaux (protection, liberté, sécurité) et marquer la filiation du RN avec le FN sur quelques grandes mesures phares : préférence nationale, Europe des nations, etc. Il s’agit pour Marine Le Pen de laisser ouverte l’élaboration de propositions nouvelles, pour deux raisons : il faut « faire sérieux » et devenir un parti de gouvernement, et il faut pouvoir nouer des alliances, pour pouvoir espérer gagner les élections. Donc, on assiste dans un premier temps à un retour aux éléments structurants qui fondent le « lepénisme » (version Marine), avec quelques innovations qui datent de ces dernières années : liberté des petits entrepreneurs contre les gros (du CAC 40), protectionnisme et localisme de production, capitalisme national et « familial », intérêt pour les nouvelles technologies (le Google à la française, qui existe, mais ne fonctionne pas), et surtout l’idée de gouverner par grands référendums sur les grands sujets (peine de mort, euro, etc.) La ligne de Marine Le Pen, c’est d’abord de construire une proposition « ni droite ni gauche, nationale », en empruntant des éléments de programme aux deux camps, pour les mixer dans une proposition de « protectionnisme nationaliste ». Ensuite, sur cette base, elle pourra discuter avec d’autres forces politiques qui pourraient venir affirmer sa légitimité pour les prochaines échéances, dont les Européennes l’année prochaine. Mais on ne sait pas encore lesquelles, à ce stade.

Vu l’absence d’huissier, comment peut-on lire ce chiffre de 52 % ? Il est à peine en faveur d’un changement de nom, et vu ce qui est mis en avant avec le nom de « RN », est-ce que MLP se laisse une marge de manœuvre pour revenir en arrière si besoin ?

C’est une hypothèse, en effet. En tout cas, le lancement du nouveau nom n’est pas certain de réussir, à ce stade. En interne comme en externe, médiatiquement et juridiquement.

Que devient Marion Maréchal ? Est-elle impliquée d’une manière ou d’une autre aux réflexions actuelles ?

Non, a priori elle influe plutôt de l’extérieur, avec des amis à l’intérieur. Partisane d’une alliance avec la droite, elle attend de voir ce que la stratégie de Marine Le Pen va donner.

Le changement de nom ne vise-t-il pas principalement à écarter définitivement, Monsieur Jean-Marie Le Pen ?

C’est en effet une des principales conséquences – et peut-être une des raisons réelles – de ce changement de nom : marquer un changement d’époque. Le Front national était le parti du père, même s’il n’avait pas été parmi les « fondateurs » en 1972, son image était liée à celle du FN. Le RN sera le parti de la fille, dans la lignée du Rassemblement Bleu Marine, utilisé depuis quelques années.