Manifestation contre les coupes du gouvernement dans les services sociaux, à Barcelone, le 3 décembre 2012, lors de la Journée internationale des personnes handicapées (IDPwD). / JOSEP LAGO / AFP

Mêlé aux travailleurs de l’usine, soumis à la même pression du chronomètre qui, au-dessus de sa tête, marque les temps, Javier Catón, 37 ans, est concentré sur le tableau de bord d’un camion. Il encastre des touches, une à une, tout en suivant sur l’écran le plan de montage. « Je suis très content, dit-il, en souriant. J’aime le travail et les collègues. Parfois je vais prendre une bière avec eux après le boulot. Et j’apprends des choses. Ça change de la manutention. J’aimerais rester ici. Je crois que j’en suis capable… »

Javier souffre d’un handicap psychique qui affecte plus de 33 % de ses capacités. Mais cela fait un an qu’il a troqué son ­emploi de manutentionnaire au centre spécial de travail (CET) de la Fondation Roncalli de Madrid, spécialisée dans l’aide aux personnes handicapées mentales et psychiques, pour intégrer, avec quatre autres travailleurs handicapés, une « enclave professionnelle » au sein de l’usine de fabrication de véhicules industriels Iveco, dans la capitale espagnole.

Ces « enclaves », créées en Espagne en 2004 pour favoriser l’intégration dans les entreprises ordinaires, sont des groupes de cinq travailleurs handicapés au ­minimum, tous provenant d’un CET. Au moins 60 % d’entre eux doivent présenter des « difficultés particulières pour ­l’accès au marché ordinaire du travail », une paralysie cérébrale, une maladie psychique ou un handicap intellectuel de plus de 33 %, ou bien un handicap physique de plus de 65 %. Les 40 % restant doivent présenter n’importe quel handicap de plus de 33 %. Le contrat entre le CET et l’entreprise doit durer au moins trois ans. Il est renouvelable une fois. Si l’un des travailleurs quitte l’enclave pour être ­employé en direct par l’entreprise, celle-ci bénéficie d’exonérations de charges et de subventions pour aménagement de poste par exemple. Et un autre travailleur handicapé intègre l’enclave.

« Lorsque l’on fait de la prestation de services, nous sommes limités à des emplois annexes, comme le nettoyage ou la jardinerie, explique Almudena Menchen, ­directrice du CET Roncalli. L’enclave permet de placer des travailleurs dans le cœur de métier d’une entreprise ordinaire, ce qui permet d’augmenter et de diversifier les possibilités d’emplois, tout en les accompagnant dans l’insertion. »

« Ils ont brisé nos préjugés »

Durant les trois premiers mois, leurs postes ont été dédoublés afin qu’ils puissent apprendre le travail. Leurs chefs et les services médicaux ont été formés par des responsables du CET, afin de réagir en cas de crise d’épilepsie, d’angoisse ou perte de mémoire. « Souvent, il suffit qu’ils sortent prendre l’air », explique Mme Menchen, qui regrette que, « par peur et ignorance, les entreprises préfèrent employer des personnes avec un handicap physique plutôt que mental ». Au quotidien, c’est Juan José Muñoz, 36 ans, le seul membre de l’enclave dont le handicap est physique, qui veille à ce que tout se passe bien. « J’étais chef d’entrepôt au CET Roncalli, dit-il. Mais accompagner les autres afin qu’ils puissent faire partie d’une entreprise ordinaire me remplit de satisfaction. »

Des réunions entre le CET et l’entreprise permettent d’examiner l’évolution des travailleurs et de procéder à des adaptations. « Nous avons introduit des écrans qui indiquent les pièces à intégrer sur le ­tableau de bord, que l’on coche pour n’en oublier aucune, explique Miguel Lopez, superviseur de la ligne d’assemblage dont dépend l’enclave. C’est une amélioration dont ont profité tous les salariés. »

Pour Iveco, l’enclave est une manière de respecter les objectifs de la loi espagnole de 2 % d’employés avec un handicap, tout en défendant des « valeurs », explique la compagnie. D’autres pourraient suivre la même voie : une nouvelle loi, approuvée en novembre 2017, interdit aux entreprises qui ne respectent pas ce quota de ­répondre à des appels d’offres publics.

Isabel Morales, employée dans la même ligne de montage que les membres de l’enclave, se félicite aussi de l’expérience :« Ils ont brisé nos préjugés sur le handicap et se sont très bien intégrés. Tout le monde devrait avoir le droit de s’épanouir professionnellement… »

Ce supplément est réalisé dans le cadre d’un partenariat avec l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph).