Eric Molinié, sur le plateau du « Grand Journal » de Canal+, le 10 décembre 2012. / Frédéric Dugit / PHOTOPQR/LE PARISIEN

Myopathe depuis l’enfance, tétraplégique, Eric Molinié est actuellement secrétaire général de Dalkia, filiale d’EDF. Il a alterné les fonctions dans les domaines ­public et privé. Entre ses débuts à la Banque ­Indosuez et son parcours actuel chez EDF, il a été président de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), président du Samusocial, entre autres. Un parcours qu’il retrace dans Vivant ! (Odile Jacob, 2016).

Votre parcours professionnel est exceptionnel. Quel est le principal frein à l’intégration des handicapés dans le monde du travail ?

Les stéréotypes, les représentations que les personnes valides se font des personnes handicapées. Ce regard qui préjuge avant de dialoguer. Cette idée, lors d’un entretien de recrutement, qu’une personne en fauteuil ne peut remplir le poste proposé, sans même lui poser la question.

Comment combattre ces stéréotypes ?

En amont, à l’école, si elle était plus inclusive. Quand on a fréquenté quelqu’un en fauteuil à la maternelle, on ne panique pas ensuite. Des progrès ont été réalisés en ce sens grâce à la loi de 2005 qui a été une révolution en donnant droit à la compensation, en fonction du handicap de la personne. Au financement d’une auxiliaire de vie scolaire, d’un taxi pour faire le trajet, par exemple.

Ensuite, en racontant de belles histoires. Le ­Téléthon, les compétitions handisport changent le regard. Et en partageant de bonnes pratiques, comme cela a été fait dans la brochure EDF « Les gens normaux n’ont rien d’exceptionnel » ou dans les guides de la Halde.

Le lycée Hoche, à Versailles, vous a refusé l’accès en classe prépa en raison de votre handicap. Si l’établissement privé voisin, Sainte-Geneviève, ne vous avait pas accepté, vous n’auriez jamais fait HEC. Pensez-vous que la situation a évolué ?

La Halde a fait son boulot en condamnant les auteurs de discriminations. Il faut à la fois ­manier la carotte – raconter de belles histoires – et le bâton – condamner. Mais 80 % des ­handicapés arrêtent leurs études au niveau du bac. A l’université, on ne compte que 1 % à 2 % de handicapés.

Dans votre livre, « Vivant ! », vous écrivez que, pour réussir, vous avez dû « donner ­davantage », pour faire oublier votre ­handicap. Par exemple ?

Quand on vous voit arriver, on se dit qu’il va vous falloir des horaires aménagés. C’est un stéréotype. Du coup, je suis longtemps arrivé le premier, et parti le dernier. Mais, un jour, à la salle des marchés de la Banque Indosuez, je suis arrivé à 9 h 15. J’ai expliqué que j’avais eu du mal à trouver un taxi. Je me suis fait engueuler. Un collègue est arrivé encore plus tard pour un ­problème d’enfant. Aucune critique. Quand on est handicapé, il ne faut pas risquer d’être moins productif.

Vous écrivez aussi que, paradoxalement, le handicap a facilité certaines rencontres…

Quand je pouvais encore tenir debout, j’avais bricolé un fauteuil style Louis XIII, avec un siège qui me propulsait pour que je puisse me lever. Comme mon bureau était en face de celui du directeur, des visiteurs me voyaient en ­passant, étaient étonnés, et on engageait la conversation. Quand j’interviens dans des ­conférences, on me repère beaucoup mieux par la suite, grâce à mon fauteuil ! Je vis ces événements positivement.

Vous avez été et êtes très impliqué dans de nombreuses associations. En quoi vos engagements associatifs et professionnels se fertilisent-ils mutuellement, comme vous l’écrivez ?

Mon expérience de l’entreprise m’a aidé à améliorer le fonctionnement d’associations et à prouver à leurs membres que ce pouvait être passionnant de le faire. A la Halde, j’ai renoué le dialogue entre cette institution et le monde de l’entreprise. A l’inverse, j’ai contribué à ouvrir EDF au monde du handicap. Ç’a été la porte d’entrée d’une culture de la diversité dans le groupe. Je crée des passerelles.

Vous avez observé qu’intégrer un handicapé favorise la cohésion de l’équipe. Pourquoi ?

Le handicap est une école de management. Beaucoup de manageurs m’ont dit qu’embaucher une personne handicapée, en regardant au-delà du diplôme et de la forteresse que constitue le handicap, oblige à considérer les goûts, le potentiel du candidat. Cela apprend à voir une personne dans toutes ses dimensions. Et la ­présence d’un handicapé dans une équipe oblige à mieux s’organiser. C’est une situation qui crée des solidarités.

En matière de politique publique, quelle ­serait aujourd’hui la principale mesure à prendre pour faciliter la vie personnelle et professionnelle des handicapés ?

La France est très en retard en matière d’accessibilité des bâtiments accueillant du public, et des moyens de transport. La plupart des lieux publics ne sont pas accessibles. Dans 80 % des cas, c’est parce qu’il y a une marche. Une seule. C’est le cas de la moitié des commerces.

Ensuite, les procédures administratives pour percevoir des droits sont extrêmement lourdes. Il faut s’y prendre un an à l’avance pour renouveler, tous les cinq ans, la prestation de compensation du handicap. Un dossier simplifié suffirait pour un myopathe comme moi.

Comment jugez-vous la France par rapport aux autres pays, en matière de services ­rendus aux handicapés ?

Roissy est le seul aéroport où, chaque fois que je rentre, je dois attendre une heure à une heure et demie pour récupérer mon fauteuil. Et, à chaque fois, il est cassé. A Cracovie, Beyrouth, Pékin, ou ailleurs, c’est impeccable. A Rome, à peine descendu de l’avion, je retrouve mon fauteuil avec les autres bagages.

C’est un exemple qui en dit long…

Ce supplément est réalisé dans le cadre d’un partenariat avec l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph).