Des supporteurs lillois envahissent la pelouse du stade Pierre-Mauroy à l’issue du match contre Montpellier, le 10 mars. / FRANÇOIS LO PRESTI / AFP

Chronique. Même aussi stupide qu’intolérable et condamnable, la violence physique renseigne toujours sur ceux qui l’infligent et ceux qui la subissent. Samedi soir, lors de la 29e journée de Ligue 1, des supporteurs ont frappé leurs propres joueurs. Il y a ce que disent les images et il y a le son. Les images montrent un groupe de 200 à 300 supporteurs du LOSC envahir la pelouse du stade Pierre-Mauroy après un match nul concédé contre Montpellier (1-1) et, pour certains, s’en prendre physiquement à ceux qu’ils encourageaient encore quelques minutes auparavant. Cette foule menaçante hurle le même mot d’ordre : « Mouillez le maillot ! » Soit le mantra préféré des supporteurs dont l’équipe ne gagne plus. Lille, 19e et relégable malgré le 5e budget prévisionnel de Ligue 1, est bien dans ce cas-là.

Depuis que l’homme d’affaires hispano-luxembourgeois Gérard Lopez a repris le LOSC à l’été 2016, les supporteurs voient leur club évoluer comme dans une mauvaise partie de Football Manager, à moins qu’il s’agisse d’une métaphore d’un sport dans lequel le néolibéralisme le plus assumé tient les joueurs pour des actifs, sur lesquels on spécule avec l’argent de fonds vautours en une-deux avec des paradis fiscaux. Pour 70 millions d’euros, treize recrues sont arrivées dans le Nord en début de saison, venues d’un peu partout (Argentine, Brésil, Côte d’Ivoire, Pays-Bas, Portugal). Jeunes et perfectibles, ils devaient progresser sous les ordres d’un Marcelo Bielsa, caution technique et morale d’un projet au nom à peine ronflant : « LOSC Unlimited ».

Prud’hommes et investisseur hongkongais

L’Argentin allait bien valoriser ces actifs dénichés par le directeur sportif, Luis Campos, déjà à la manœuvre à Monaco. Et tant pis si les deux se détestaient cordialement. On était dans du trading purement capitalistique, mais Gérard Lopez vendait un projet gagnant-gagnant, promettant football léché et Coupe d’Europe aux fans et des ronflantes plus-values lors des prochains mercatos à ses investisseurs. Pas vraiment convaincue par le montage financier de Lopez, la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG), le gendarme financier du football français, a interdit le LOSC de recrutement et le menace d’une rétrogradation administrative, qui pourrait s’ajouter à celle sur le terrain. Bielsa a été débarqué et réclame plus de 18 millions à son ancien patron, mais le technicien argentin a perdu la première manche juridique devant le tribunal de commerce de Lille, la deuxième devant se jouer mardi 13 mars devant les prud’hommes.

On en est là. Selon une information de Canal+, Lopez recevait samedi dans sa loge un investisseur hongkongais providentiel pendant que sur le terrain, ses « actifs » étaient protégés des coups de leurs supporteurs par les stadiers.

Ces joueurs forment une armée mexicaine en déroute dirigée par Christophe Galtier. Pour situer la logique du projet, disons que sa vision du football et celle de Marcelo Bielsa sont aussi proches que les cinémas de Fabien Onteniente et d’Ingmar Bergman. On demande à ces joueurs de sauver la peau d’un club qui ne s’appartient plus. Les voilà coincés entre des dirigeants probables fossoyeurs d’une histoire – le LOSC, successeur de l’Olympique lillois, dominait le football français d’après-guerre – et des supporteurs qui s’en disent les derniers garants. Même s’ils ne sont que de passage, ces joueurs ont livré samedi un match avec leurs limites et doutes du moment mais avec tout le professionnalisme possible. Ils ont mené contre une équipe mieux classée (6e) avant de se faire rejoindre. On appelle ça le football. Sauf que certains ne l’entendent pas ainsi.

« La suite logique et inexorable du flou financier »

Dimanche après-midi, un communiqué des ultras du groupe de supporteurs Dogues Virage Est (DVE) « revendiquait » les débordements tout en condamnant les violences mais en lui donnant des causes : « Ces événements sont la suite logique et inexorable du flou financier entourant le club et de l’investissement personnel irrégulier ou inexistant de la majorité des joueurs. »

Propulsé capitaine à 24 ans et garant de l’identité d’un club qu’il n’a rejoint qu’en 2015, Ibrahim Amadou tentait tant bien que mal de recoller les morceaux. De comprendre tout en condamnant.

« Qu’ils soient déçus, je suis tout à fait d’accord, mais ils auraient pu exprimer leur mécontentement autrement. Ceux qui veulent nous soutenir jusqu’à la fin de saison sont les bienvenus au stade. Pour les autres, ce n’est pas la peine de revenir. »

La justice devrait s’en charger elle-même après les différentes plaintes déposées par la direction lilloise. Amadou a, lui, neuf matchs pour encore un peu « mouiller le maillot » avant d’être vendu cet été pour 15 millions ou plus à un club anglais. Il contribuera alors à rembourser – un peu – les emprunts obligatoires de Lux Royalty, la holding luxembourgeoise qui détient le LOSC. Les supporteurs, et peut-être même ceux qui l’ont menacé samedi dernier, regretteront le départ de celui qui aura fait son boulot le mieux possible.