La Silicon Valley n’a pas encore brûlé toutes ses icônes. Alors que les critiques contre les poids lourds d’Internet se sont multipliées ces derniers mois, certains dirigeants jouissent encore d’une aura incontestable dans le milieu des nouvelles technologies. Pour s’en convaincre, il suffisait d’observer l’effet produit par l’arrivée d’Elon Musk, PDG du constructeur automobile Tesla et de l’entreprise spatiale SpaceX, dans les rangs du festival South by Southwest (SXSW).

Tout a commencé lors d’une table ronde au sujet de la série Westworld organisée samedi 10 mars dans le cadre de ce grand festival des nouvelles technologies, du divertissement et de la musique qui se déroule chaque année à Austin (Texas, Etats-Unis). Elon Musk a volé la vedette aux créateurs et acteurs de la série venus discuter de leur nouvelle saison en arrivant sur scène au son des cris et d’une standing ovation. A entendre ceux qui hurlent « Elon, on t’aime ! », on ne sait plus si on acclame un PDG ou une star du rock.

Mais à l’écouter, il pourrait tout aussi bien être le gourou d’une secte quelconque :

« Il y a des choses affreuses qui arrivent en permanence dans le monde. Mais la vie, ce n’est pas résoudre des problèmes misérables les uns après les autres. Il doit y avoir des choses qui vous inspirent, qui vous font vous lever le matin, vous rendent fier de l’humanité. Constantin Tsiolkovski [un scientifique russe du début du XXe siècle spécialiste de l’espace] a dit “la Terre est le berceau de l’humanité, mais l’humanité ne peut pas rester dans son berceau pour toujours.” Il est temps de partir à la conquête des étoiles, d’étendre le spectre de la conscience humaine. Je trouve ça incroyablement excitant et ça me rend heureux d’être en vie, j’espère que vous aussi. »

Cette apparition au South by Southwest n’est pas anodine, puisqu’elle a permis de donner un retentissement immédiat au petit film révélé à cette occasion et commandé par M. Musk à Jonathan Nolan, son ami et l’un des deux créateurs de la série Westworld. Moins une œuvre qu’une publicité filmée lors du lancement du dernier modèle de fusée de SpaceX, cette vidéo à l’image granuleuse – quelque part entre le filtre Instagram et la caméra super-8 – accompagnée de la chanson Life on Mars, de David Bowie, fait tout pour raviver et nourrir la ferveur autour de la conquête spatiale, composante intégrale de la stratégie de communication de SpaceX.

Le show Musk n’était pas terminé. Pendant la nuit, les organisateurs du festival SXSW ont annoncé que le patron allait se plier à une session de questions-réponses ouverte aux participants du festival, dès le lendemain. Il était autour de minuit quand les premiers fans ont commencé à faire le pied de grue pour être certains d’obtenir des billets, distribués huit heures plus tard. Toute la matinée, des participants au SXSW enthousiastes postent sur les réseaux sociaux le précieux sésame. A la mi-journée, lorsque Elon Musk fait son apparition – en dansant au son d’une chanson issue d’un film comique américain des années 1980 – sur la scène d’une salle de spectacle de la ville, c’est encore sous les vivats de la foule, qui lui a réservé une longue standing ovation.

Des tests de la navette pour Mars en 2019

Elon Musk a ensuite fait état de ses ambitions pour son entreprise SpaceX, spécialisée dans les fusées, en matière de conquête spatiale. Il l’avait annoncé : il veut aller sur Mars et, selon lui, son entreprise fait des « progrès » dans la construction d’un vaisseau capable de l’atteindre. Les premiers tests de cet appareil pourraient même avoir lieu lors du premier semestre 2019, a-t-il annoncé. A tous ceux, dans la salle, qui se porteraient volontaires pour étrenner une nouvelle planète, il préfère avertir :

« La vie sera plus dure sur Mars ou sur la Lune que sur la Terre. La vie sur Mars ne sera pas une échappatoire pour les riches. Pour les premiers, ce sera très dangereux, et il y aura une forte probabilité qu’ils meurent. »

Mais pour le fondateur de SpaceX, emmener l’humanité hors de la Terre est indispensable dans la perspective d’une éventuelle « troisième guerre mondiale » :

« Il faut s’assurer qu’il y ait assez de graines de la civilisation humaine ailleurs pour la ranimer. C’est important d’établir une base autonome sur Mars, car c’est suffisamment loin de la Terre, et elle aura davantage de chances de survie. »

Interrogé par un membre du public sur le type de gouvernement qu’il imagine pour diriger la colonie martienne, Elon Musk a défendu la « démocratie directe plutôt que la désignation de représentants ». Il faudrait aussi, selon lui, que les lois soient « courtes » et « compréhensibles ». « Quand la taille d’une loi excède Le Seigneur des anneaux en nombre de mots, c’est que quelque chose ne va pas » a-t-il lancé. Enfin, il faudrait que les Martiens puissent « retirer une loi plus facilement qu’elle n’a été votée », une solution radicale à l’inflation législative.

L’intelligence artificielle plus dangereuse que les armes nucléaires ?

Elon Musk a aussi abordé l’une de ses marottes, à savoir les dangers de l’intelligence artificielle (IA) :

« Cela me fout les jetons. En quelques mois, AlphaGo [un programme de Google spécialisé dans le jeu de go] est passé du stade où il perdait toutes ses parties à celui où il bat le champion du monde. Le rythme d’amélioration de l’IA est impressionnant, et il faut s’assurer que l’avènement d’une superintelligence numérique est compatible avec l’humanité. »

Qu’importe si la quasi-totalité des experts sérieux ne partagent pas son alarmisme. Pour lui, il s’agit de « la crise existentielle la plus urgente » du moment. Il faut, explique-t-il, trouver un moyen de réguler cette IA :

« On n’autorise pas n’importe qui à fabriquer des armes nucléaires, ce serait fou. Et pourtant, retenez ce que je vous dis, l’IA est beaucoup, beaucoup plus dangereuse que les armes nucléaires ! »