Tribune. Après l’Ethiopie, Djibouti, le Kenya, où il a annulé samedi un certain nombre de rencontres suite à un malaise, le secrétaire d’Etat américain Rex Tillerson poursuit, lundi 12 mars, sa première visite en Afrique par le Tchad et le Nigeria. Voyage qui doit finalement être écourté d’une journée.

Même avant son départ, sa tournée en Afrique s’annonçait peu propice à une nette amélioration des relations entre Washington et ses partenaires africains. Plus d’un an après les élections aux Etats-Unis, le locataire de la Maison Blanche ne se penchait que rarement sur les questions africaines. Le président Donald Trump n’a eu qu’une seule réunion multilatérale avec des chefs d’Etats africains, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU en septembre 2017. Quant à son chef de la diplomatie, lui aussi n’avait organisé qu’une seule rencontre avec des Africains deux mois après. Ni l’un ni l’autre n’envisageait de faire de déplacement sur le continent. L’intérêt de l’administration Trump était clairement ailleurs.

De l’indifférence aux insultes

Et puis, au mois de janvier, on est passé d’une approche d’indifférence quasi totale vis-à-vis de l’Afrique à des insultes émanant directement du leader des Etats-Unis. Dans une conférence avec des membres du Congrès sur l’immigration, le président Trump a traité de « pays de merde » des partenaires africains d’où partaient des migrants pour les Etats-Unis et l’Europe. Il va de soi que ces propos ont été très mal reçus.

Il fallait donc faire quelque chose. Le président Trump avait beau ignorer l’Afrique, les enjeux pour les Etats-Unis y sont très importants, de la lutte contre le terrorisme à l’exploitation des riches ressources sous le sol africain. M. Trump a donc décidé d’envoyer son ministre en tournée d’excuses.

Il y avait quelques torts individuels à réparer aussi, ce qui pourrait expliquer le choix de plusieurs pays sur l’itinéraire de M. Tillerson. Le Nigeria ? En juin, Donald Trump avait apparemment dit qu’une fois entrés aux Etats-Unis, les visiteurs nigérians « ne retourneraient jamais dans leurs huttes ». L’Union africaine (UA) ? Le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, s’était rendu à Washington pour rencontrer M. Tillerson juste après sa prise de fonction, mais ce dernier avait annulé à la dernière minute le rendez-vous. Le Tchad ? Le pays, acteur clé pour la sécurité sous-régionale, avait subitement et apparemment sans explication préalable été inclus sur la liste noire des pays dont les ressortissants étaient provisoirement interdits du territoire américain par crainte d’attaque terroriste.

M. Tillerson avait donc du pain sur la planche. Mais, dès le début, le département d’Etat et le chef de la diplomatie américaine ont été clairs. Un voyage pour « promouvoir une relation importante ? » Certes. Une tournée pour « faire suite » à la rencontre entre Rex Tillerson et les leaders africains au mois de novembre 2017. Oui. Mais, comme l’a souligné un responsable du ministère dans un briefing avant le départ, il n’y aura pas de « deliverable ». Pas d’initiative nouvelle donc. Le secrétaire d’Etat partait en Afrique pour écouter ses interlocuteurs. Et certainement pas pour lancer une nouvelle politique régionale.

Rien de neuf

Le 6 mars, Rex Tillerson a prononcé un discours à Washington sur les relations entre l’Amérique et l’Afrique. Une belle occasion pour le ministre de remettre les choses à plat avant son départ, de montrer aux Africains que l’administration Trump cherchait à refonder les bases d’un engagement avec le continent.

S’il a annoncé le versement de 533 millions de dollars (432 millions d’euros) d’assistance humanitaire pour la Somalie, l’Ethiopie et l’Afrique centrale, dont les besoins sont criants, il ne parlait que de vieux programmes déjà en cours. Le Trans-Sahara Counter-Terrorism Partnership destiné à aider les pays du Sahel à combattre le terrorisme ? Cela date de l’administration Bush. Les autres formes d’assistance vantées par Rex Tillerson dans son discours ? AGOA, Power Africa, YALI, PEPFAR, initiatives pour promouvoir l’économie, la santé, et la jeunesse africaine, toutes ont été lancées sous les présidents Bush ou Obama. Rien de neuf.

Et son effort pour être « à l’écoute » des Africains ? Si M. Tillerson a dû annuler une partie de sa visite au Kenya, c’est parce qu’il est trop occupé à gérer des surprises « trumpiennes » : des tractations diplomatique avec la Corée du Nord ou l’annonce de nouvelles taxes jugées protectionnistes sur l’importation de l’acier et de l’aluminum.

Un président qui insulte des Africains. Une administration qui n’annonce rien de nouveau. Un secrétaire d’Etat tellement distrait par des questions internes qu’il n’arrive même pas à suivre son agenda sur le continent. Pas certain dans ces conditions que la « tournée d’excuses » porte de bons fruits.

Jeffrey Hawkins a été ambassadeur des Etats-Unis en République centrafricaine de 2015 à 2017. Il dirige aujourd’hui la Bibliothèque américaine de Paris.