De la route qui relie Nouméa à Mont-Dore, distantes d’une vingtaine de kilomètres dans le Grand Sud de la Nouvelle-Calédonie, la seule image que l’on aperçoive de la tribu kanak de Saint-Louis, c’est le clocher de la mission, construite dans les années 1860. La rocade, sur laquelle circulent plus de vingt mille véhicules par jour, traverse de part en part le territoire de la tribu. Les jeunes de Saint-Louis savent qu’ils disposent là d’un moyen de pression stratégique, parce que, comme le raconte Ambrosio Kamodji, qui fut le premier bachelier de la tribu et est aujourd’hui éducateur spécialisé, « quand ils bloquent, ça bloque tout ».

La RP2 est souvent le théâtre de violences. Organisées ou plus ou moins spontanées, collectives et revendicatives ou simplement délictuelles. Fin 2016, à la suite de la mort d’un des leurs, William Decoiré, tué par un gendarme à un barrage routier au volant d’une voiture volée, de violents affrontements entre jeunes et forces de l’ordre s’y déroulèrent pendant plusieurs semaines. Il fallut plusieurs jours pour déblayer les dizaines de carcasses de voitures brûlées. Les gendarmes ont dit avoir agi en « légitime défense ». Le parquet avait classé l’affaire, attisant la violence des jeunes. Une enquête a finalement été ouverte et, tout récemment, l’association William, qui se bat pour « obtenir la vérité », a obtenu qu’une reconstitution soit organisée, ce que les autorités avaient toujours refusé.

Référendum en novembre

Ben Salama et Thomas Marie, les auteurs du documentaire « Saint-Louis, une histoire calédonienne », projeté mercredi 14 mars à 20 h 50 sur France Ô et dont Le Monde est partenaire (il est diffusé en avant-première sur le site du monde.fr entre le 11 et le 14 mars), peuvent à juste titre estimer que leur travail, qui a réclamé près de deux mois de contacts préalables puis de tournage sur place, y aura contribué. Mais, pour les jeunes de la tribu, la mort de William Decoiré reste une blessure, qui parfois peut virer à la « haine ».

Il ne s’agit pas pour les réalisateurs de « réhabiliter » Saint-Louis, cette tribu urbanisée, gagnée par les faubourgs de Nouméa, la pieuvre tentaculaire en constante expansion, mais d’en montrer un visage plus contrasté. De se plonger dans ses contradictions. Saint-Louis a mauvaise réputation. Pour un jeune Kanak à la recherche d’un emploi, c’est une tache sur le CV. Aussi, quand une jeune fille de la tribu obtient une bourse pour aller poursuivre des études supérieures en métropole, c’est un événement partagé par toute la famille, et un véritable déchirement. De même que l’on perçoit bien ses interrogations, alors qu’elle manifeste avec les indépendantistes, sur l’avenir d’une Kanaky indépendante, sur laquelle la population calédonienne va avoir à se prononcer au début du mois de novembre.

« Saint-Louis, c’est les Etats-Unis de la Kanaky »

Les éléments les plus radicaux, eux, farouchement indépendantistes, assurent qu’ils n’iront pas voter, car ils ne se retrouvent pas dans ceux qui les représentent et expriment même parfois une forme de rejet. Saint-Louis, comme l’explique justement le titre du documentaire, est un concentré de l’histoire calédonienne et de ses contradictions, de la religion, de la politique et de la coutume. « Saint-Louis, c’est les Etats-Unis de la Kanaky », assume fièrement Marie-Luce Wemoadjou, une « ancienne », rappelant la tradition d’accueil de la tribu. Mais c’est aussi là qu’eurent lieu au début des années 2000 de violents affrontements intercommunautaires, chassant les Wallisiens de leur quartier de l’Ave Maria.

Saint-Louis a mauvaise réputation, et elle n’est pas forcément usurpée. Pour la majeure partie de la population, elle rime avec caillassage, violence, délinquance, malgré tous les efforts déployés ces dernières années par la municipalité de Mont-Dore et les services de l’administration territoriale. Et pourtant, le documentaire s’achève sur la « fierté » des jeunes de la tribu d’accueillir, à l’occasion des journées du patrimoine, des « étrangers » pour leur faire découvrir leur territoire et leurs réalisations. De quoi, le temps d’une journée, pouvoir espérer en un « destin commun ».