Jennifer Jason Leigh et Natalie Portman tentent de comprendre pourquoi l’« Area X » est soumise à un dérèglement de toutes les lois de la physique et de la biologie. / PARAMOUNT PICTURES

L’avis du « Monde » – à ne pas manquer

Tout le monde n’est pas sujet à l’ivresse de la science-fiction, au vertige exquis et terrifiant qui prend quand l’éventail des possibles se déplie en univers parallèles. Celles et ceux qui sont immunisés ne trouveront sans doute pas grand intérêt à Annihilation. Les patients sensibles prendront un plaisir rare à se perdre dans son labyrinthe marécageux. Le deuxième long-métrage du Britannique Alex Garland, après le remarquable Ex Machina, navigue avec assurance entre l’horreur, le psychédélisme et la philosophie, emmené par une Natalie Portman quasi ascétique, dans son apparence comme dans son jeu.

Elle est Lena, professeure de biologie, qui attend le retour de son mari Kane (Oscar Isaac) militaire parti en mission depuis un an. Alors qu’elle a perdu tout espoir, il réapparaît un soir, incapable de dire comment il a retrouvé son chemin, atteint d’un mal mystérieux. En suivant le malade, bientôt tombé aux mains d’une de ces agences gouvernementales américaines que nous avons appris à connaître et aimer depuis le premier épisode de X-Files, Lena découvre l’existence de l’Area X, une zone côtière semi-tropicale sujette à un dérèglement de toutes les lois de la physique et de la biologie.

C’est là que Kane a contracté sa maladie, c’est dans cette région qu’ont disparu toutes les missions chargées de l’explorer. Pourtant, il se trouve encore des volontaires pour découvrir le mystère du shimmer (scintillement, c’est ainsi qu’on a baptisé le phénomène) : quatre femmes emmenées par une psychologue d’une impénétrable froideur (Jennifer Jason Leigh), auxquelles se joint Lena.

Un jardin toxique

Avec son décorateur Mark Digby, qui avait déjà travaillé sur Ex Machina, Garland fait de la jungle d’Area X un jardin toxique qui se rit de la botanique, où les plantes prennent des formes humaines, où des fleurs d’espèces différentes poussent sur les mêmes tiges. Ce biotope tient autant d’Alice au pays des merveilles que de Predator. La menace qui pèse sur les exploratrices est organique. Il n’est pas question ici du viol de la nature par les humains ou de l’appétit de conquête de notre espèce. Comme le roman de Jeff VanderMeer (le Livre de poche, 2017) dont il est tiré, Annihilation s’intéresse plus à l’essence de la vie, aux transformations de la matière qui font qu’un organisme croît, se multiplie, se détruit.

Tessa Thompson et Natalie Portman, plongées dans une nature hostile. / PETER MOUNTAIN

Pour les protagonistes du film, ces spéculations prennent la forme du cauchemar. Des créatures dont on n’est jamais sûr qu’elles ne sont pas le fruit de l’imagination des personnages surgissent de la nuit, dévorent, dépècent, sans que ces scientifiques brillantes parviennent à discerner la logique qui les gouverne.

Ce film d’action (car c’en est un : quand Alex Garland ne s’enivre pas de ses créations lysergiques, il assène ses coups avec efficacité) repose entièrement sur des femmes. La logique du commando, que l’on croyait épuisée, d’Aventures en Birmanie à Délivrance, prend ainsi des tours inédits. La relation entre Lena et le docteur Ventress, la psychologue qu’incarne Jennifer Jason Leigh, repose sur une rivalité, une méfiance et une capacité à communiquer silencieusement qui n’a rien à voir avec la dynamique purement hiérarchique en vigueur d’habitude dans le genre militaire.

ANNIHILATION : Bande-annonce VF [Au cinéma le 7 mars 2018]
Durée : 01:48

En France, on ne peut voir ce film intime et spectaculaire que sur Netflix. Il a pourtant été financé par un grand studio, la Paramount. Après les premières projections tests d’Annihilation, les dirigeants de la major ont exigé d’Alex Garland et de son producteur Scott Rudin qu’ils en changent la fin, trouvant l’histoire « trop intellectuelle », demandant que le personnage de nonne soldate de Natalie Portman soit « plus sympathique », a rapporté le Hollywood Reporter.

Rudin, qui détenait le droit de final cut (montage final) sur Annihilation, a pris le parti de son réalisateur. Par mesure de rétorsion, la Paramount, qui dispose pourtant d’un important réseau de distribution international, a décidé de ne sortir le film en salle qu’aux Etats-Unis (où il a remporté un honnête succès, malgré le peu d’enthousiasme du studio) et en Chine, vendant les droits d’exploitation pour le reste du monde à Netflix. Une suite de décisions qui n’est pas étrangère à l’un des thèmes majeurs du film, l’autodestruction.

Film américain d’Alex Garland. Avec Nathalie Portman, Oscar Isaac, Jennifer Jason Leigh, Gina Rodriguez, Tuva Novotny, Tessa Thompson (1 h 55).