Dans la banque privée, la qualité de la gestion est-elle l’argument déterminant pour séduire la clientèle ? Certains acteurs, parmi les plus dynamiques du marché, mettent en avant leurs performances, qu’il s’agisse de produits ouverts au grand public (sicav, fonds communs de placement), de fonds sur-mesure accessibles uniquement à leur clientèle privée (gestion sous mandat) ou de formules intermédiaires (gestion pilotée, gestion conseillée).

51 %

En France, la moitié des actifs confiés à des sociétés de gestion (2 050 milliards d’euros sur 4 000 milliards) le sont à travers des mandats, selon l’Association française de la gestion financière (AFG). Cette proportion est stable dans le temps. La gestion sous mandat est moins réglementée que la gestion collective. L’AFG a néanmoins rédigé en 1997 un « règlement de déontologie de la gestion de portefeuille individualisée sous mandat ». Ces règles déontologiques ayant été approuvées par l’Autorité des marchés financiers (AMF), elles sont obligatoires pour l’ensemble des sociétés de gestion.

Lazard Frères gestion, Edmond de Rothschild, Rothschild & Cie gestion, le groupe Oddo BHF, les suisses Pictet et Lombard Odier, voire l’américain JPMorgan, en font partie. Leur point commun ? Aucun n’est adossé à l’un des six grands réseaux bancaire français : BNP Paribas, le groupe BPCE, Crédit agricole, Crédit mutuel-CIC, la Société générale et La Banque postale. Selon McKinsey, les banques privées de ces grands réseaux s’arrogeraient les deux tiers du marché. Grâce à leur taille, les grands groupes font des économies d’échelle. Leur force est de proposer une très large gamme de services, notamment du crédit bancaire, ce que les acteurs de taille plus modeste ne peuvent pas toujours faire.

Prendre des paris audacieux

Pour les banques privées indépendantes, se distinguer par la qualité de leur gestion est important, d’autant plus que les grands établissements sont régulièrement critiqués par leur approche trop « indicielle » qui se borne à répliquer l’évolution moyenne des marchés. Difficile, en effet, pour ces poids lourds, qui ont industrialisé leurs processus de gestion, de prendre des paris audacieux. « Dans les grands établissements, le contrôle des risques est la priorité. On demande avant tout au gérant de maîtriser la volatilité, c’est-à-dire de ne pas trop s’écarter des indices », explique Frédéric Lorenzini, fondateur du site d’information N3D, spécialisé dans la banque privée.

Certains acteurs revendiquent une gestion « à l’ancienne », plus libre et plus artisanale

Si les gérants des grandes sociétés de gestion s’éloignent généralement assez peu de leur « benchmark » (indice de référence), c’est aussi parce que leurs clients institutionnels demandent surtout des fonds « purs », qu’ils utilisent pour composer leurs propres portefeuilles. Pour des raisons réglementaires, un produit étiqueté « grandes valeurs européennes » doit être en permanence investi en actions européennes, et pas dans autre chose. Face à ces méthodes industrielles, certains acteurs revendiquent une gestion « à l’ancienne », plus libre et plus artisanale. « Ce que les clients viennent chercher chez nous, c’est une gestion de conviction et du sur-mesure. Notre mission est de battre les indices, ce qui est difficile dans la durée. Peu y parviennent », dit François de Saint-Pierre, directeur de la gestion privée chez Lazard Frères Gestion.

« Ce que les clients viennent chercher chez nous, c’est une gestion de conviction et du sur-mesure »

« Architecture ouverte »

Alors qu’à peine 800 entreprises sont cotées en Bourse en France, plus de 10 000 fonds y sont commercialisés. L’univers de la gestion collective est si vaste qu’il est très difficile de s’y repérer. La société américaine Morningstar, qui attribue à chaque produit une note allant d’une à cinq étoiles, met gratuitement ses analyses à la disposition du grand public. Les particuliers fortunés à la recherche de la meilleure gestion auraient-ils donc intérêt à confier leur argent aux établissements qui collectionnent les meilleures notes ? Pas forcément.

Les fonds qui enregistrent les meilleures performances sont souvent ceux dont les gérants prennent le plus de risque

D’abord, la plupart des banques privées fonctionnent en « architecture ouverte ». Quand il construit un portefeuille pour son client, le banquier peut opter librement pour les fonds d’établissements concurrents. Dans ces conditions, il n’est pas nécessaire d’être client de Lazard Frères, par exemple, pour accéder à sa gestion réputée. Un autre aspect incite à relativiser l’importance des notes attribuées aux sicav et aux fonds : l’essentiel de la performance d’un portefeuille (entre 60 % et 80 %) provient de l’allocation d’actifs, c’est-à-dire des arbitrages qui sont faits par le gérant en banque privée entre les différentes classes d’actifs (actions, obligations, matières premières, devises, etc.). La sélection des fonds ou des titres vifs (« stock picking ») ne joue donc qu’un rôle secondaire dans la performance finale.

En outre, les fonds qui enregistrent les meilleures performances sont souvent ceux dont les gérants prennent le plus de risque, ou plus précisément qui investissent sur les marchés et les titres les plus risqués. « Or, la plupart de nos clients cherchent avant tout à préserver leur patrimoine, explique Vincent Izrael, responsable de l’équipe d’investissement privé chez JPMorgan Banque privée France. Ils ont déjà fait fortune et ne sont pas prêts à prendre des risques démesurés sur les marchés financiers. »

Lexique

Gestion libre L’épargnant a une totale liberté : il décide lui-même du choix de ses investissements et effectue lui-même les arbitrages au sein de son portefeuille.

Gestion sous mandat Le client délègue entièrement la gestion de son portefeuille à un professionnel spécialisé, qui agit pour son compte en se fondant sur les objectifs fixés lors de la signature du mandat.

Gestion conseillée Le client décide lui-même de son allocation d’actifs et de ses investissements. Le rôle du conseiller se borne essentiellement à lui indiquer des recommandations émanant de son comité d’investissement.

Gestion profilée Méthode de gestion reposant sur l’aversion au risque de l’investisseur. La gestion est déléguée à un gérant spécialisé. Le profil peut être prudent, équilibré ou dynamique.