Reconstruire dans la durée et se préparer, dans des délais plus brefs, à la prochaine saison cyclonique : tels sont les enjeux des îles antillaises de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, durement touchées par le passage de l’ouragan Irma dans la nuit du 5 au 6 septembre 2017, qui a tué onze personnes. Six mois après, lundi 12 mars, le gouvernement français et les deux collectivités territoriales se sont retrouvés pour parler argent, financement des chantiers à venir à l’occasion d’un comité pour la reconstruction des îles de Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

Le coût total du cataclysme dépassera sans aucun doute les 3 milliards d’euros, dont 1,83 milliard d’euros pour l’évaluation des seuls dégâts assurés (bâtis publics et privés, parc automobile…), une somme considérable pour ces deux îles qui comptent moins de 40 000 habitants. A l’issue de cette réunion, cinquième du genre, l’annonce a été faite d’un engagement des pouvoirs publics d’une somme globale qui « avoisinera les 500 millions d’euros ».

200 millions pour les infrastructures publiques

Sur cette somme, 163 millions ont déjà été engloutis dans le dispositif d’urgence pour les deux îles antillaises touchées par Irma, soit les secours avec l’envoi massif de militaires, gendarmes, sécurité civile – en tout 3 000 personnes – ; les aides immédiates, notamment le bâchage des maisons et des installations ravagées ; la distribution de quelque 1 800 tonnes de matériel, d’eau, de vivres, etc.

140 millions d’euros sont aussi investis par l’Etat dans le « soutien économique aux entreprises, aux particuliers et aux deux collectivités ». Ces sommes ont été consacrées à la prise en charge du chômage partiel, de cartes prépayées pour les familles les plus en difficultés (4 200 foyers sur les deux îles), ainsi qu’à un moratoire sur les cotisations sociales qui durera jusqu’à novembre 2018. Les deux collectivités territoriales bénéficient aussi d’une aide du gouvernement pour leur fonctionnement, à hauteur de 65 millions, dont la quasi-totalité pour Saint-Martin.

Ces sommes étaient déjà connues, ce qui n’est pas le cas des quelque 200 millions (194,6 exactement) que la collectivité de Saint-Martin a présenté, lundi, dans le cadre d’un plan d’investissement pour la reconstruction de ses bâtiments et des infrastructures publiques. Les bâtiments scolaires bénéficieront de 33,5 millions d’euros – l’Etat en finançant près de la moitié –, les équipements sportifs, 13 millions, le centre hospitalier de Saint-Martin, 12 millions (dont la moitié par l’Etat). Le coût de l’enfouissement des réseaux électriques, mis à bas par l’ouragan, sera pris en charge par l’Etat à hauteur de 14,7 millions d’euros. L’un des plus gros postes sera celui de la gestion des zones à risque, qui passe par la construction d’abris paracycloniques ou l’achat d’équipements d’alerte : sur les 29 millions à investir, le gouvernement a promis d’octroyer une aide de 17,8 millions d’euros, dont 6 pour les abris et 11 au compte du fonds Barnier, soit l’indemnisation des gens qui seraient déplacés.

« La participation directe de l’Etat et de ses opérateurs représentera ainsi un tiers des investissements de la collectivité de Saint-Martin, soit 66,4 millions d’euros. Et en prenant en compte l’ensemble des dépenses, y compris celles de l’urgence, l’engagement financier non remboursable de l’Etat atteindra 370 millions d’euros », résume Philippe Gustin, délégué interministériel pour la reconstruction des îles de Saint-Barthélemy et Saint-Martin. A cette somme, il convient encore d’agréger quelque 125 millions issus – entre autres – du Fond de solidarité de l’Union européenne, ce qui amène au total d’engagement d’environ 500 millions d’euros.

Surchauffe du secteur du BTP et pénurie de matériel

La reconstruction, qui devrait prendre plusieurs années, doit aussi s’accompagner de mesures à plus brève échéance. En effet, une grande partie du parc immobilier, notamment celui des particuliers, reste à sécuriser, avant même de le rebâtir, en vue de la prochaine saison cyclonique qui débutera dans quatre mois.

Les expertises des sociétés d’assurances, qui évaluent les dégâts et permettent les remboursements, ont à peine fini leur tâche. La venue de deux cents à trois cents experts n’a pas été facile à organiser, assure la délégation interministérielle pour la reconstruction des deux îles. « A ce stade, les assurances n’ont également payé que 609 millions d’euros sur le 1,83 milliard de dégâts assurés », lit-on dans le communiqué du délégué, publié lundi. Sachant que seuls 40 % des habitants étaient assurés.

Il est aussi fait état d’une « surchauffe » possible du secteur du BTP, avec la multiplication des chantiers, alors même « que la reconstruction des infrastructures publiques n’a pas encore commencé ». La Fondation de France qui aide, avec les Compagnons bâtisseurs et la Croix rouge, un certain nombre de familles saint-martinoises à reconstruire ou consolider leurs habitations, témoigne de problèmes d’approvisionnement en matériel de chantier. « Nous constatons aussi des problèmes de main-d’œuvre, car les artisans de l’île sont débordés et préfèrent aller sur la reconstruction des maisons des habitants les plus aisés, des chantiers plus importants », raconte ainsi Karine Meaux, responsable des urgences à la Fondation de France.

Une différente gestion des Néerlandais

Ce n’est donc pas tant un problème d’argent que de réalisation concrète des travaux, aurait insisté le premier ministre, Edouard Philippe, lors du comité interministériel. Et si les tensions entre la communauté territoriale et son président, Daniel Gibbs, avec les autorités de l’Etat sont en partie apaisées, il reste une demande d’aide plus importante de la part de Saint-Martin et, a contrario, un doute sur la capacité opérationnelle de la collectivité du côté du gouvernement. « Pour reconstruire un groupe scolaire, c’est deux ans, et pour l’ensemble du parc public, cela demandera un énorme travail de suivi. Or, il n’y a que deux personnes chez les territoriaux pour élaborer et suivre l’ensemble des marchés publics », raconte, sous couvert d’anonymat, un spécialiste du dossier.

Cette réunion du comité a rempli son objectif qui était d’avoir la certitude que les investissements seraient bien utilisés, explique le délégué. Les Néerlandais ont choisi d’affecter une somme globale de 550 millions d’euros à la partie de Saint-Martin qui est sous leur responsabilité, pour solde de tout compte. « L’Etat français préfère, lui, des investissements dans un cadre juridique sécurisé, planifié sur plusieurs années, avec des sommes affectées à des actions concrètes », explique Philippe Gustin.

Un suivi sera assuré par le gouvernement et une clause de revoyure a été décidée. En juin, le prochain comité interministériel dédié à la reconstruction étudiera les retours d’expérience et les leçons tirées par les collectivités et l’Etat du passage d’Irma.