Pendant une manifestation organisée après la mort d’un mineur dans une exploitation clandestine, à Jerada, le 3 février 2018. / Youssef Boudlal / REUTERS

Le pouvoir marocain change de ton à Jerada. Agitée par une contestation populaire depuis la mort accidentelle de deux frères dans une mine clandestine de charbon, fin décembre 2017, la ville a vu la tension remonter ces derniers jours après l’arrestation de quatre jeunes militants, samedi 10 et dimanche 11 février. Les autorités, qui avaient jusqu’ici opté pour un « dialogue ouvert » afin d’apaiser la situation, ont lancé mardi 13 mars un avertissement aux manifestants, se disant prêtes à apporter « des réponses fermes face aux agissements et comportements irresponsables ».

« Le ministère de l’intérieur […] souligne son droit d’appliquer la loi dans la ville de Jerada, par l’interdiction des manifestations illégales sur la voie publique et par des réponses fermes face aux agissements et comportements irresponsables », détaille un communiqué officiel.

Grève générale

Alors qu’un calme relatif était revenu ces dernières semaines, la série d’arrestations, les premières depuis le début du mouvement, a ravivé l’indignation des habitants de cette ville située aux confins du Maroc et de l’Algérie, sinistrée depuis la fermeture de ses mines à la fin des années 1990. Depuis samedi, les meneurs du mouvement de contestation ont lancé une grève générale, une marche et de grands rassemblements pour la libération des jeunes emprisonnés.

« Dimanche, nous étions des milliers à manifester », soutient un participant qui requiert l’anonymat, tandis que les autorités locales parlent de 600 à 700 personnes. « Plusieurs militants, accompagnés de femmes et d’enfants, ont marché des dizaines de kilomètres en direction d’Oujda. D’autres ont même décidé d’organiser des rassemblements à Rabat », affirme Mohammed Kerzazi, membre de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH). Mardi matin, la police a formé un cordon pour contenir les manifestants qui se dirigeaient vers la place centrale où se sont déroulés les principaux rassemblements depuis l’éclatement de la protestation.

Les autorités marocaines assurent pour leur part que les arrestations n’ont rien à voir avec le mouvement social mais sont liées pour trois des cas à un accident « en état d’ébriété », avec délit de fuite, et pour le dernier à une « violation d’établissement public » avec des dégâts matériels. « Il s’agit d’un accident tout à fait banal. C’est une excuse, tout le monde sait que les quatre jeunes arrêtés sont des activistes du Hirak [« mouvance », nom donné au mouvement de contestation], résume Mohammed El Ouali, un syndicaliste de la ville. Je les connais personnellement. »

« Mines de la mort »

Selon des sources locales, les militants auraient été arrêtés alors qu’ils participaient à un débat sur l’avenir du Hirak et les propositions faites par le chef du gouvernement lors de sa visite à Oujda en février. « Nous nous sommes rendus lundi au tribunal. On nous a dit qu’ils allaient être entendus mardi. En fait, ils ont été auditionnés discrètement lundi au tribunal de première instance d’Oujda et seront jugés le 19 mars », indique M. Kerzazi.

Depuis fin décembre, de grandes manifestations pacifiques se sont succédé pour demander des « alternatives économiques » à la seule activité de cette petite localité du nord-est marocain : l’extraction clandestine de charbon dans les « mines de la mort », où des centaines de mineurs risquent quotidiennement leur vie. « Depuis 1998, 44 personnes sont décédées. L’Etat doit non seulement trouver une solution économique mais aussi juger les reponsables qui ont plongé Jerada dans cette situation insoutenable », analyse M. Kerzazi.

Loin de la répression qui s’était brutalement abattue sur la région voisine du Rif, agitée depuis un an et demi par un autre mouvement de protestation et où la police a arrêté plus de 450 personnes, les autorités marocaines n’avaient pas déployé de forces antiémeutes ni procédé à des arrestations à Jerada.

Un plan d’action économique proposé par le gouvernement pour répondre aux revendications de la population avait permis une accalmie. Mais, fin février, des manifestants étaient redescendus dans la rue pour demander des réponses plus concrètes. Soulignant « les efforts déployés par le gouvernement », le ministère de l’intérieur a affirmé : « certaines parties s’obstinent à décrédibiliser ces efforts », en « incitant la population de manière continue à manifester ».

Mais les récentes arrestations et les menaces du pouvoir marocain pourraient aggraver les tensions, comme ce fut le cas dans le Rif, où la gestion de la crise est très critiquée par les associations de défense des droits de l’homme.