Le restaurant Zizzi où se sont rendus Sergueï Skripal et sa fille peu avant leur mort par empoisonnement, le 14 mars à Salisbury (Royaume-Uni). / HENRY NICHOLLS / REUTERS

Dénégations, indignation surjouée, une pointe de complotisme… et comme un léger parfum de trolling, pour reprendre le vocabulaire propre à Internet et à un domaine dans lequel la Russie s’est taillée une réputation solide. Moscou veut tourner en ridicule les accusations de Londres dans l’affaire Sergueï Skripal, du nom de l’ancien espion russe empoisonné avec sa fille, le 4 mars à Salisbury, dans laquelle le Royaume-Uni suspecte une implication russe.

Comment expliquer autrement le fait que le député Andreï Lougovoï ait été parmi les premiers officiels russes chargés de commenter l’affaire ? « Les Anglais souffrent d’une grave maladie, ironisait M. Lougovoï dès le 6 mars. Dès que quelque chose se passe en rapport avec des Russes, ils cherchent la piste d’une implication russe. »

Avant d’entrer au Parlement, Andreï Lougovoï a surtout été l’un des deux principaux suspects dans l’assassinat au polonium radioactif d’un autre défecteur russe, Alexandre Litvinenko, en 2006 à Londres. Ce précédent, dans lequel Londres a officiellement dénoncé une implication du Kremlin, a largement contribué à faire du cas Skripal une crise diplomatique.

Le même Lougovoï a également avancé l’idée d’un plan monté de toutes pièces destiné à saboter le Mondial de football organisé en Russie cet été dressant un parallèle avec les Jeux olympiques de Sotchi, supposément torpillés de façon similaire par le déclenchement opportun d’une révolution en Ukraine. « Je pense que cette histoire fait partie d’un plan plus large, conçu quelque part par quelqu’un, pour discréditer la Russie (…) avant la Coupe du monde de football » a-t-il déclaré.

Une manœuvre pour « discréditer la Russie »

La réaction de M. Lougovoï est loin d’être un cas isolé. « Nous avons averti à plusieurs reprises qu’avant le début de la Coupe du Monde, les médias occidentaux allaient lancer une campagne de grande ampleur dans le but de discréditer la Russie et miner la confiance dans le pays hôte », indiquait dès le déclenchement de l’affaire le ministère des affaires étrangères russe, pendant qu’un général des services de sécurité (FSB), Vladimir Djabarov, réduisait le dossier à une manœuvre pour « blâmer et noircir la Russie ».

« Il semble que le scénario d’une campagne antirusse ait déjà été écrit », renchérissait l’ambassade de Russie à Londres, regrettant « qu’au lieu d’une explication officielle sur cette question, le ministre des Affaires étrangères ait décidé de menacer la Russie de représailles ». A mesure que l’affaire gagnait en importance au Royaume-Uni, les réactions officielles russes se teintaient d’une ironie à peine voilée, la porte-parole du ministère des affaires étrangères allant jusqu’à évoquer « un numéro de cirque au Parlement britannique ».

Il aura fallu les menaces de représailles évoquées par Theresa May, le 12 mars, assorties d’un ultimatum exigeant des clarifications de Moscou, pour que Sergueï Lavrov, le ministre des affaires étrangères, réponde d’un sobre : « La Russie est innocente et est prête à coopérer si la Grande-Bretagne remplit ses obligations internationales. » En d’autres termes, que la police britannique ouvre l’enquête à ses homologues russes et accepte de transmettre à la Russie des échantillons du poison utilisé. La demande tournera court.

Une pointe de fierté face à l’élimination d’un ancien agent double

Quant à Vladimir Poutine, il a balayé la question d’un journaliste de la BBC en marge d’un déplacement à quelques jours d’un scrutin présidentiel gagné d’avance : « Ecoutez, nous nous occupons ici d’agriculture ! (…) Tirez les choses au clair de votre côté et nous en parlerons ensuite. »

Dans les médias russes, la tonalité est la même : celle du coup monté destiné à « salir la Russie » et à « tout mettre sur le dos du sanguinaire Poutine ». S’y ajoute toutefois – et tant pis pour la contradiction – une pointe de fierté face à l’élimination d’un ancien agent double, réfugié en Russie à la faveur d’un échange d’espions après avoir passé quatre ans en prison. S’adressant aux « traîtres », Kirill Kleimenov, de la Première chaîne, avertissait ainsi : « Ne choisissez pas l’Angleterre comme lieu de résidence. Quelles que soient vos raisons : que vous soyez un traître professionnel à la mère-patrie ou que vous détestiez votre pays uniquement pendant votre temps libre. »

Reste à savoir l’effet qu’aura l’affaire dans l’opinion le 18 mars, jour d’élection présidentielle. Va-t-elle contribuer à resserrer les rangs de la société russe, comme le font habituellement les phases de tensions internationales, ou bien une partie de l’opinion sera-t-elle rebutée par l’éclatement de cette nouvelle crise déclenchée par un assassinat ciblé ?