L’ancien ministre de l’intérieur du Venezuela, Miguel Rodriguez Torres, à Caracas, le 27 juin 2017. / Marco Bello / REUTERS

Le général de réserve Miguel Rodriguez Torres, ancien ministre de l’intérieur du président Nicolas Maduro, a été arrêté par le Service bolivarien de renseignement (Sebin), la police politique, dans un hôtel de Caracas, mardi 13 mars. Une dizaine d’agents, sous les ordres d’un général, l’a fait sortir d’une réunion publique de son Movimiento Amplio Desafío de todos (« Mouvement du large défi de tous »), et l’a emmené au siège du contre-espionnage militaire, dans la périphérie de la capitale. Il est accusé de « complot » visant à fracturer « l’unité monolithique des forces armées bolivariennes ».

Ironie de l’histoire, le général Rodriguez Torres est le créateur du Sebin, qu’il dirigea pendant dix ans sous la présidence de son vieux camarade, le lieutenant-colonel Hugo Chavez (1999-2013). Les deux officiers avaient participé au sanglant putsch raté du 4 février 1992, dont l’anniversaire est célébré par le régime comme une fête nationale. Miguel Rodriguez Torres avait dirigé l’attaque contre la résidence présidentielle, La Casona, n’hésitant pas à mettre en danger la famille du chef de l’Etat, qui ne se trouvait pas là.

Après être arrivé au pouvoir par les urnes, Hugo Chavez lui a confié les anciens renseignements généraux, transformés en Sebin, sur les conseils des services secrets cubains. Fidèle à la tradition complotiste de ses frères d’armes, Rodriguez Torres a dénoncé plusieurs conspirations, dont l’arrestation et expulsion d’un jeune cinéaste américain, Timothy Hallet Tracy, traité comme un redoutable espion.

Bien placé pour accumuler des « dossiers » compromettants sur tous les officiers et sur les personnalités civiles du chavisme, le général Rodriguez Torres est nommé ministre de l’intérieur par Nicolas Maduro, élu de justesse à la présidence en 2013, lors d’un scrutin au résultat controversé. Le nouveau ministre s’empresse alors de crier au complot des opposants.

Il prend ses distances avec Nicolas Maduro

En 2014, les manifestations de l’opposition trouvent en lui un adversaire implacable, combinant l’action des forces de sécurité (police et gendarmerie) et des irréguliers, les « collectifs » chavistes armés, agissant en service commandé. Entre février et juillet, la répression se solde par la mort de 43 personnes, la plupart tués par balle. Cependant, le contrôle des groupes paramilitaires suscite des divisions au sommet de l’Etat. En octobre 2014, le dirigeant d’un « collectif » du quartier « 23 de enero », bastion chaviste de Caracas, est tué par la police. A la demande des irréguliers, Rodriguez Torres est limogé.

Le général conserve néanmoins des contacts avec les officiers et donne des cours à l’Académie militaire. Comme la procureure générale Luisa Ortega, il prend ses distances avec Nicolas Maduro lors des manifestations de 2017, qu’il considère légitimes, tout en condamnant les violences. Il prépare sa candidature à la présidence de la République et se positionne au centre de l’échiquier politique, comme une alternative entre le gouvernement Maduro et l’opposition. Le pouvoir riposte en le privant de ses droits politiques pendant un an et donc de la possibilité de se présenter à la présidentielle de 2018.

Le général ne se laisse pas démonter pour autant. En juillet, il condamne le simulacre d’Assemblée constituante convoquée par le chef de l’Etat. En août, il s’affiche avec les figures du chavisme dissident dans le grand amphi de l’Université catholique Andres Bello (UCAB), à Caracas, à côté des leaders de l’opposition. Le 8 mars, il rejoint le nouveau front élargi formé par l’opposition, le Frente Amplio Venezuela Libre. Cette convergence entre chavistes dissidents et opposants a été favorisée par les jésuites qui dirigent l’UCAB.

« La conséquence de la fracture du madurisme »

Selon Rocio San Miguel, directrice de l’ONG Contrôle citoyen et experte en questions de défense, « l’arrestation du général Miguel Rodriguez Torres pourrait être la conséquence de la fracture du madurisme au sein des forces armées ». Les officiers supérieurs, très présents au gouvernement et à la tête des entreprises publiques, s’enrichissent grâce aux multiples trafics : drogues, armes, pétrole, ressources minières et même aliments. Mais les troupes et leurs familles subissent les difficultés partagées par les Vénézuéliens à cause des pénuries, de l’hyperinflation et de l’insécurité.

La crainte de la colère au sein de l’armée explique le sort que le gouvernement Maduro a réservé au charismatique général de réserve Raul Baduel, que ses camarades appelaient « le Samouraï ». Lui aussi chaviste de la première heure, il avait rétabli Hugo Chavez au pouvoir, alors que ce dernier se trouvait emprisonné dans une caserne, lors du putsch raté de 2002.

Nommé ministre de la défense, le général Baduel s’est élevé contre l’emprise croissante des Cubains sur les forces armées. Résultat : démission, puis condamnation pour de supposées malversations. En mars 2017, alors qu’il avait purgé sa peine de huit ans, il a été remis en prison, souvent à l’isolement. Cet acharnement est un message adressé à tous les militaires mécontents.