Le bambou dont dépendent presque exclusivement les pandas géants pour leur alimentation est peu susceptible de suivre le rythme des changements climatiques. / Juan Carlos Munoz / WWF

Il y avait déjà la destruction et la fragmentation de l’habitat, sous l’effet de l’agriculture, de l’élevage ou de l’exploitation forestière, la chasse et le braconnage, les maladies et les pollutions. Dorénavant, au-dessus de ces menaces, s’ajoute le péril du changement climatique.

En témoigne une étude réalisée par le Fonds mondial pour la nature (WWF) et les universités d’East Anglia (Angleterre) et James-Cook (Australie), dont les résultats sont publiés dans la revue Climatic Change mercredi 14 mars ainsi que dans un rapport intitulé « La nature face au choc climatique ». Les constats sont sans appel : si le réchauffement planétaire se poursuit jusqu’à atteindre + 4,5 °C, près de 50 % des espèces qui vivent actuellement dans les régions les plus riches en biodiversité seront menacées d’extinction locale d’ici aux années 2080.

Les chercheurs se sont focalisés sur 35 « écorégions prioritaires » définies par le WWF – comme l’Amazonie, la Grande Barrière de corail, le désert de Namibie ou le delta du Mékong – qui abritent nombre d’espèces emblématiques, endémiques et en danger.

Modélisation de 80 000 espèces

Ils ont voulu déterminer comment le climat affectera ces zones à l’avenir, en fonction de quatre scénarios différents : celui de base, caractérisé par des émissions de gaz à effet de serre qui continuent à augmenter sans limitation pour atteindre une hausse des températures de 4,5 °C d’ici à la fin du siècle par rapport à l’ère préindustrielle ; la trajectoire dessinée par les promesses des Etats dans le cadre de la conférence de Paris sur le climat, qui conduirait à une hausse du thermomètre de 3,2 °C (version pessimiste) ou de 2,7 °C (version optimiste) ; enfin, l’objectif de limiter la surchauffe à 2 °C maximum tel qu’il a été adopté par la COP21.

Pour ce faire, les scientifiques ont utilisé un précédent projet (la Wallace Initiative) qui a modélisé l’aire géographique présente et future de 80 000 espèces de plantes, d’amphibiens, de reptiles, d’oiseaux et de mammifères en fonction des conditions de température saisonnières mais aussi de pluviométrie et de couverture nuageuse. « Les calculs sont effectués sur une grille de 20 km par 20 km, de sorte qu’il est possible de compter, dans chaque cellule, le nombre d’espèces pour lesquelles le climat reste adapté à l’avenir et le nombre d’espèces pour lesquelles il ne l’est plus », explique la première auteure de l’étude, Rachel Warren, professeure à l’université d’East Anglia.

« Un scénario de laisser-faire pourrait se révéler catastrophique pour l’ensemble des groupes d’espèces », prévient le rapport

Son équipe a étudié deux hypothèses, selon que les espèces soient en mesure ou pas de migrer pour suivre leur niche écologique (le plus souvent vers les pôles, les sommets des montagnes ou les profondeurs des océans, aux températures plus fraîches). Ils n’ont pas analysé d’autres réponses au changement climatique, comme les mutations génétiques, plus difficiles à quantifier. Les chercheurs n’ont également pas pris en compte les événements climatiques extrêmes qui peuvent augmenter les risques d’extinction locale, ni l’évolution de la banquise et du permafrost ou encore les facteurs qui ne sont pas en lien avec le climat (la perte d’habitat liée à l’humain, les maladies ou les interactions entre espèces).

« Ce travail reste intéressant à cette échelle, afin de pouvoir connaître le pourcentage d’espèces à risque dans des régions très différentes du point de vue du climat et de la biodiversité », juge Franck Courchamp, écologue et directeur de recherches au CNRS, qui n’a pas participé à l’étude.

Selon les projections, Madagascar devrait devenir impropre au climat pour plus de la moitié des espèces qui s’ y trouvent, dans le cadre d’un scénario d’émissions inchangées et de possibilités limitées de dispersion. / Martin Harvey / WWF

Les résultats montrent l’importance de contenir le réchauffement climatique. Alors que 48 % des espèces des 35 écorégions seront menacées d’extinction dans un climat à + 4,5 °C, ce chiffre tombe à 37 % dans un scénario à + 3,2 °C et surtout à 24 % pour un monde à + 2 °C. De même, seulement 33 % des zones étudiées pourraient jouer le rôle de refuges climatiques dans le premier scénario, contre 47 % dans le deuxième et 67 % dans le troisième. De manière générale, les groupes les plus vulnérables s’avèrent les plantes, les reptiles et les amphibiens.

Dans le détail, les écorégions les plus affectées sont les régions boisées de Miombo en Afrique australe et centrale, le sud-ouest de l’Australie et l’Amazonie. Cette dernière, qui abrite actuellement plus de 10 % de toutes les espèces connues sur Terre et joue un rôle clef dans la régulation du climat mondial, risque de voir plus de 4 plantes sur 10 disparaître localement dans un monde à + 2 °C (et près de 70 % à + 4,5 °C). Un tiers des mammifères seraient également menacés – un chiffre qui doublerait dans le pire scénario.

L’Amazonie est très vulnérable aux changements climatiques. En l’absence de dispersion, un monde à + 4,5°C menacerait près des deux-tiers des espèces, particulièrement les amphibiens. / J.J. Huckin/WWF US

L’extrême sud-ouest de l’Australie, avec ses espèces emblématiques comme le Wallaby des rochers, sera exposé aux pertes de refuge parmi les plus fortes dans un monde à + 2 °C comme à + 4,5 °C. « Un scénario de laisser-faire pourrait se révéler catastrophique pour l’ensemble des groupes d’espèces », prévient le rapport, avec 81 % des espèces de mammifères, 89 % d’amphibiens ou 74 % des plantes menacées d’extinction localement. L’Australie a connu la première extinction mondiale d’une espèce de mammifère causée par le changement climatique : le Melomys rubicola, un rongeur victime de l’élévation du niveau de la mer.

Zones protégées et corridors écologiques

« En ajoutant le climat aux autres menaces qui pèsent sur la biodiversité, l’humanité risque d’alourdir son érosion, prévient Pierre Cannet, responsable du programme climat et énergie au WWF France. La gravité de la situation appelle à une mobilisation d’ampleur : les 2 °C d’augmentation des températures mondiales doivent bien être un plafond et non un plancher. »

L’étude montre ainsi que l’atténuation du changement climatique est bien plus efficace, pour protéger la biodiversité, que l’adaptation à l’augmentation des températures. Il s’agit de « réduire nos émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial, en sortant des énergies fossiles et en changeant nos modèles de production et de consommation », rappelle le WWF. Reste que « l’adaptation a un rôle à jouer au niveau local », par la création de zones protégées ou de corridors écologiques, la préservation des refuges climatiques ou encore la translocation d’individus ou de sous-populations vers ces aires.

« Pour nombre d’écorégions ou d’espèces, le climat est malheureusement une menace secondaire, après la destruction des habitats (comme pour les lémurs de Madagascar, ou les tigres de Sibérie) ou directement des espèces (braconnage des éléphants), prévient toutefois Sandra Lavorel, écologue au laboratoire d’écologie alpine de Grenoble. Il ne faudrait pas non plus perdre le message sur les causes premières de perte de la biodiversité. »