Christian Bale incarne le capitaine Joseph Blocker. / METROPOLITAN FILMEXPORT

L’avis du « Monde » - A voir

L’histoire des Etats-Unis s’est formée sur pellicule. L’épopée de la conquête, cruelle mais indispensable, a pris la forme du western. Par millions, les métallos et les couturières, les boulangers et les guichetières ont empli, des décennies durant, les salles de cinéma américaines pour voir les pionniers prendre possession du territoire sur ­lequel ils exerçaient désormais leur honnête profession, et l’aménager.

Comment représenter ce mythe fondateur aujourd’hui ? Sur un scénario inachevé de Donald Stewart (Missing, A la poursuite d’Octobre rouge), Scott Cooper a cherché l’Histoire sous la légende. La démarche n’est pas inédite – dès le début des années 1950, ­Delmer Daves entreprenait, avec La Flèche brisée, de redire la ­conquête, en prenant en compte la souffrance des peuples bannis de leur propre territoire. Elle se distingue ici par une rigueur presque calviniste, que le ­réalisateur fait contraster avec le lyrisme sensuel des terres traversées, puisqu’il s’agit d’une odyssée qui mène ses prota­gonistes du ­Nouveau-Mexique au ­Montana.

Archétypes et personnages complexes

Dans sa première moitié, ­Hostiles parvient à retrouver la simplicité des grands westerns tragiques, mettant aux prises des figures qui sont à la fois des ­archétypes et des personnages complexes, luttant pour un enjeu qui les dépasse. A mi-parcours, le film de Scott Cooper se met à ­accumuler des épisodes, qui tous visent à étayer la thèse déjà ­esquissée par le seul mou­vement du récit. Alourdi, le film n’en ­conserve pas moins sa part de grandeur.

Au Nouveau-Mexique, le ­capi­taine Joseph Blocker ­ (Christian Bale) se morfond dans un fort où sont incarcérés ­quelques guerriers apaches. ­Ancien combattant de toutes les guerres indiennes, il a massacré les Sioux à Wounded Knee, pourchassé les Cheyennes jusqu’à la disparition de leur nation. Au bord de la retraite, il passe ses soirées à lire La Guerre des Gaules dans le texte et ses journées à pourchasser les évadés qui ­tentent de rejoindre la réserve apache.

On est en 1892, et l’armée des Etats-Unis n’a plus besoin de cette génération d’officiers qui pensaient, comme le général Sherman, que le seul bon Indien est un Indien mort. Comme pour lui faire sentir son obsolescence, le supérieur hiérarchique de ­Blocker lui confie, pour ultime mission, la tâche de convoyer le chef cheyenne Yellow Hawk ­ (­Wes Studi) jusque sur le territoire de ses ancêtres, dans le Montana. Yellow Hawk est mourant, et le président Benjamin Harrison a décidé de faire un geste en direction de la minorité qui s’agite en faveur des droits des premiers ­occupants.

Colère et remords

Blocker accepte de mauvaise grâce, et se met en route avec ­Yellow Hawk, sa femme et ses enfants ainsi qu’une petite escorte. Ils recueillent bientôt Rosalee Quaid (Rosamund Pike), qui vient de perdre mari et enfants, tués par une bande de renégats ­coman­ches. Dans ces premières séquences, on retrouve des ­figures familières du western – l’attaque de la ferme, le cheminement à travers des reliefs trop grands pour ceux qui y passent. La lumière brute du chef opérateur Masanobu Takayanagi ­confère une immédiateté quasi documentaire aux images numériques des paysages que les personnages en costume ­traversent comme des fantômes.

Avec une minutie qui n’entrave pas pour autant le mouvement, Scott Cooper évoque les fractures qui divisaient les Indiens, ici entre Cheyennes et Comanches, ou cette étrange organisation qu’était l’armée des Etats-Unis à la fin du XXsiècle, gendarme de son propre territoire avant de ­devenir celui du monde.

HOSTILES - Bande Annonce - VF
Durée : 01:32

En criminel de guerre chez qui se fait jour la conscience de sa faute, Christian Bale puise dans ses inépuisables ressources de colère, de remords. C’est lui qui, lorsque Hostiles perd le rythme ­ample qui est celui de sa première partie, permet au film de garder sa cohérence. Dans les épisodes égrenés au long de la seconde ­partie (succession de rencontres sanglantes entre la petite troupe et les nouveaux maîtres de la terre, trappeurs ou fermiers), ­celui qui met Blocker, certain de n’avoir jamais failli à l’honneur, face à un ancien combattant des guerres indiennes qui vient de massacrer une famille de pionniers, reste le plus convaincant. Dans le rôle du tueur en série, Ben Foster oppose une vitalité ­morbide à la lassitude du ­capi­taine. La question implicite que pose Hostiles est alors clairement formulée : comment faire émerger la paix et la justice d’un passé criminel ?

Film américain de Scott Cooper. Avec Christian Bale, Rosamund Pike, Wes Studi (2 h 13).