Un léger vent de reprise souffle sur les entreprises françaises. Serait-ce enfin, après dix ­années de glaciation du marché de l’emploi, le moment de bouger et de tenter un véritable bond en avant dans sa carrière ?

Car c’est bien dans les moments de reprise économique, marqués par une poussée des recrutements de cadres, que la mobilité de ces derniers s’accélère. Selon l’édition 2017 du panorama des mobilités professionnelles de l’Agence pour l’emploi des cadres (APEC), 7 % d’entre eux ont changé d’entreprise en 2016, contre 6 % en 2015 et 5 % en 2009. « Une mobilité externe qui va vite ­tendre vers 10 % des effectifs », pronostique Pierre Lamblin, directeur du département études et recherche de l’APEC.

Alors que l’occasion de se repositionner sur le marché du travail se profile, faut-il envisager d’entreprendre un MBA pour donner un sérieux coup ­d’accélérateur à sa carrière, comme le promettent la plupart des business schools ? Elles en ont fait leur argument marketing choc, mais aucune étude indépendante ne permet de le vérifier.

Doper sa confiance en soi

La question est d’autant plus légitime qu’avant d’être une opportunité, le MBA présente un risque, au moins financier. Entre les frais de scolarité (qui peuvent aller jusqu’à 119 000 euros à l’Insead), le coût de la vie sur le campus, l’absence de salaire le temps de la formation (entre quatorze et dix-sept mois) et l’absence de cotisations retraite, « l’investissement dans un MBA est tel qu’il doit impérativement être rentabilisé par une accélération de la carrière et de la rémunération, explique Jean-Philippe Denis, directeur du master en management stratégique de l’université Paris-Saclay et rédacteur en chef de la Revue française de gestion. C’est même le plus souvent l’élément déterminant de la décision de l’entreprendre. »

« Techniquement, [mon MBA] ne m’a pas appris grand-chose, mais il m’a permis de prétendre à des postes auxquels je n’aurais jamais pensé avant. » Un ancien de l’Insead

Aussi, ajoute Pierre Lamblin, « c’est en période de bonne conjoncture, quand les opportunités se multiplient, que le risque financier du MBA est moindre. Mais si le moment est bien choisi, encore faut-il qu’il s’inscrive dans un vrai projet professionnel. En clair, il faut d’abord se ­poser la question : “A quoi cela va-t-il me servir ?” »

« Le MBA que j’ai acquis il y a vingt ans m’a permis d’intégrer la logique et les concepts de direction générale, témoigne un ancien de l’Insead, qui a fait sa carrière dans les télé­coms. Techniquement, il ne m’a pas appris grand-chose, mais il m’a donné confiance en moi, permis de prétendre à des postes auxquels je n’aurais jamais pensé avant, et au passage de doubler mon ­salaire. »

Diplôme le plus reconnu à l’international – au point que certaines grandes sociétés américaines ne recrutent leurs cadres dirigeants que parmi les titulaires de MBA –, il permet notamment d’envisager d’entrer sur un marché du travail plus mondial.

Ni trop tôt, ni après 30 ans

Mais pas à n’importe quel âge. « La mobilité des cadres reste l’apanage des jeunes, notamment des moins de 30 ans, [ceux qui] à l’orée de leur vie professionnelle cherchent à acquérir de l’expérience et des compétences ou à obtenir une meilleure ­rémunération en changeant d’employeur », souligne l’étude de l’APEC. Une période également propice à la promotion interne, car c’est aussi avant 30 ans que les opportunités de grimper dans la hiérarchie sont les plus nombreuses : en 2016, elles ont bénéficié à 17 % des cadres de moins de 30 ans, contre 12 % pour ceux âgés de plus de 40 ans, et 8 % pour les plus de 50 ans.

Cet âge d’or de la mobilité pourrait aussi être celui du MBA. Lequel ne doit pas être entrepris trop tôt dans une carrière, comme l’explique Pierre Mogenet, associé chez Egon Zehnder, le cabinet international de recrutement de dirigeants : « Faire un MBA à la sortie de HEC ou de l’X ne sert à rien, car les jeunes diplômés n’ont pas ­acquis l’expérience professionnelle qui permet de comprendre en profondeur l’utilité des notions qu’ils vont y découvrir. »

Cela peut même être contre-productif, poursuit le chasseur de têtes : « Hormis dans le conseil ou la banque d’affaires, où cela permet de parler très tôt le langage de ses clients, un MBA prématuré peut donner la grosse tête, une certaine arrogance qui sera mal perçue par les supérieurs hiérarchiques. »

« Un MBA prématuré peut donner la grosse tête, une certaine arrogance qui sera mal perçue par les supérieurs hiérarchiques. » Pierre Mogenet, associé chez Egon Zehnder

Ni trop tôt, donc, ni trop tard. Car s’il permet en principe de se repositionner vers des postes de management généraliste, ce n’est pas si ­facile, comme en témoigne Jérôme Sordoillet, créateur du groupe des Alumni du MBA des Ponts sur LinkedIn. Diplômé d’une école ­ d’ingénieurs de Toulouse, cet électronicien qui avait commencé à faire du marketing a voulu acquérir une formation de management plus généraliste pour se reconvertir.

« J’ai mis beaucoup de temps à retrouver un travail, car, même si je correspondais au profil recherché, les recruteurs français ne comprenaient pas mon désir de changer de voie à 40 ans passés », raconte-t-il. Il pensait rentrer dans les logiciels ? Il a atterri dans la finance, dans la filiale de leasing de BNP Paribas. Un vrai repositionnement en somme. Aurait-il été recruté sans son MBA ? « Je pense que oui, dit-il, car le poste n’était pas formaté pour un MBA. Mais il a pu servir pour la suite de mon parcours. Le MBA a fini par crédibiliser mon histoire… »

Pour autant, cela ne lui a pas permis de faire le bond espéré, ni dans sa carrière ni côté rémunération – ce changement d’orientation s’est soldé par une perte nette de revenus, de 20 % à 30 %, dit-il, « ceux qui sont restés dans leur entreprise depuis quinze-vingt ans sont beaucoup mieux payés que moi, surtout ceux qui sont dans de grosses entreprises ». Tandis que ceux qui sont passés d’une entreprise à une autre, et surtout d’un secteur à un autre, ont dû faire des concessions sur leur salaire.

Des écarts de niveaux

Optimiser son MBA semble relever d’un parcours type, où « le temps de la carrière se révèle une donnée clé », comme l’explique Pierre ­Mogenet. Pour des ingénieurs qui, après trois à cinq ans de carrière, souhaitent sortir des postes purement techniques ou faire oublier un diplôme d’une école d’ingénieurs de second rang, en vue de s’orienter vers des postes d’encadrement, entreprendre un MBA peut offrir la hauteur de vue et le vocabulaire des directions générales.

En clair, se révéler un véritable accélérateur de carrière, « mais à plusieurs conditions, prévient le chasseur de têtes. D’abord, suivre un des dix meilleurs MBA ».

A l’heure où toutes les business schools ont lancé leur MBA, « il y a beaucoup plus de titulaires aujourd’hui qu’hier alors qu’il n’est pas sûr qu’il y ait plus de postes de dirigeants », dit ­l’ancien de l’Insead.

« Les sociétés françaises qui, dans les années 1990, recrutaient massivement des MBA, en sont revenues. » Pierre Mogenet, associé chez Egon Zehnder

Il faut viser un des meilleurs pour que cela serve à quelque chose, et obtenir ainsi un bond de sa rémunération. « Mais aujourd’hui, il n’est pas sûr que les nouveaux titulaires recueillent le même impact que ceux qui l’ont suivi il y a vingt ans. » Car il y a des écarts de niveaux importants entre les différents MBA que les entreprises commencent à bien percevoir. Pierre Mogenet reconnaît ainsi que « les sociétés françaises qui, dans les années 1990, recrutaient massivement des MBA, en sont revenues car elles n’ont pas ­recruté les meilleurs ; ceux-là étaient préemptés par les grandes banques et les sociétés de conseil ».

Autre condition de succès, bouger avant d’avoir le diplôme en poche. Les gros recruteurs de MBA vont faire leur marché sur le campus pendant la formation et recrutent les meilleurs éléments, dit encore le chasseur de têtes, pour qui « ceux qui attendent d’en être sortis pour chercher un nouveau poste ont souvent beaucoup plus de mal à valoriser leur investissement ».

Pour lui, « le pari gagnant dépend aussi de l’ambition qui y est placée ». Si l’on vise une accélération de carrière durable, il faut avoir envie de partir à l’international et de devenir tôt ou tard un dirigeant. « Il faut se mettre la barre haut et tout faire pour y arriver. La clé, c’est l’ambition qui vous porte. » Attendre la reprise, c’est bien. La vouloir, c’est mieux.

Valérie Segond

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