La raison du plus fort est toujours la meilleure… Le rapport 2018 sur le marché de l’art, publié le 13 mars par la foire suisse Art Basel et la banque UBS, confirme la morale du Loup et l’Agneau de Jean de La Fontaine.

Si le commerce mondial de l’art affiche une santé insolente, avec un total de 63,7 milliards de dollars (soit 51,3 milliards d’euros), en hausse de 12 % par rapport à 2016, l’embellie ne profite qu’à une poignée d’acteurs au plus haut niveau. « On peut faire, pour le marché de l’art, le même constat que pour la richesse mondiale, dont 88 % sont détenus par 10 % des gens les plus fortunés », résume l’économiste Clare McAndrew, auteure du rapport. Et la théorie du ruissellement n’est guère d’actualité.

La concentration des pouvoirs est d’abord géographique. Les Etats-Unis, la Chine et la Grande-Bretagne représentent à eux seuls 83 % du marché mondial. En comparaison, la France n’en détient que 7 %, l’Allemagne 2 %. Cinq maisons de ventes – sur plus de 14 000 répertoriées – raflent 50 % des enchères, en valeur. De même, sur plus de 52 000 artistes passés en vente, à peine 1 % décroche des prix supérieurs à un million de dollars. On ne prête qu’aux riches.

Grand écart entre petits et grands marchands

La hausse de 27 % des ventes aux enchères en 2017 repose sur les créateurs les plus chers. Les ventes d’œuvres supérieures à 10 millions de dollars ont progressé de 125 % en un an. Dans le même temps, les transactions d’œuvres évaluées entre 5 000 à 50 000 euros ont dégringolé de 17,5 %.

Les embardées ne concernent pas non plus toutes les catégories du marché. En hausse de 12 %, l’art d’après-guerre et contemporain se taille la part du lion, avec 46 % des ventes aux enchères. En revanche, le record de 450 millions de dollars généré par le Salvator Mundi de Léonard de Vinci n’a aucune incidence sur le segment des tableaux anciens, en chute de 11 % en raison d’une raréfaction galopante.

L’écart se creuse de la même façon entre petits et grands marchands. Les chiffres d’affaires des galeries pesant plus de 50 millions de dollars ont progressé de 10 % en 2017. Leurs rendements sont parmi les plus importants. Normal : les marchands dont le bilan dépasse 10 millions de dollars s’autorisent des marges supérieures à la moyenne, jusqu’à 30 % selon les spécialités. En revanche, les structures qui engrangent moins de 500 000 dollars par an ont vu leurs chiffres d’affaires chuter de 4 %.

Vingt galeries de taille intermédiaire, comme la new-yorkaise Andrea Rosen, ont fermé l’an dernier. « L’écart ente le haut et le bas du panier s’est creusé depuis la chute du marché en 2009, explique Mme McAndrew. Beaucoup de galeries de taille moyenne se plaignent que les plus grosses enseignes leur prennent des artistes avec lesquels elles arrivaient à vivre. »

Importance croissante des foires

Le rapport souligne l’importance croissante des foires d’art, où les galeries réalisent 46 % de leurs ventes. Si les transactions sur les salons ont progressé de 17 % en 2017, les coûts de participation à ces événements ont grimpé de 15 %. Une galerie surpuissante comme l’américaine Gagosian peut participer à seize foires. En revanche une petite structure est incapable d’engager de tels frais. Là encore, le retour sur investissement n’est pas le même selon qu’on soit gros ou petit.

Quelle que soit leur taille, tous les marchands ont un même objectif : trouver des nouveaux clients. Ces derniers ont représenté 30 % de leurs ventes en 2017. Mais, prévient Clare McAndrew, « tout le monde est focalisé sur 2 % des gros acheteurs, alors qu’il faudrait atteindre 98 % de la population. Il ne faut pas que ces gens-là pensent que le marché de l’art se résume à des prix records et qu’ils finissent par en être dégoûtés ».

Pour l’économiste, Internet permettrait de ferrer et rassurer les nouveaux acheteurs. Justement, les ventes en ligne d’œuvres d’art – 8 % du marché global – ont progressé de 10 % en 2017 pour atteindre 5,4 milliards de dollars.