Editorial du « Monde ». Fièvre des grands jours à la Chambre des communes, mercredi 14 mars : la première ministre britannique était interrogée par les députés sur les mesures à prendre après l’empoisonnement au gaz neurotoxique, le 4 mars, d’un espion russe réfugié au Royaume-Uni et de sa fille. Theresa May a annoncé l’expulsion, sous huit jours, de vingt-trois diplomates russes et, parmi d’autres mesures de rétorsion, le gel des relations bilatérales de haut niveau avec Moscou.

La première ministre britannique s’est aussi félicitée du large soutien que lui ont manifesté les députés sur cette question, y compris sur les bancs du Labour – à l’exception notable du chef du Parti travailliste, Jeremy Corbyn, dont la sensibilité de gauche ne saurait, apparemment, souffrir une condamnation de la Russie.

Mais le gouvernement britannique n’a pas seulement besoin, dans cette affaire, du soutien de Westminster, aussi précieux soit-il. Il lui faut aussi, et surtout, celui de ses alliés. Car ce n’est qu’un début. Si les mesures prises par Londres sont susceptibles d’irriter le Kremlin, elles ne pèseront vraiment que si Moscou sait que d’autres puissances, solidaires, sont prêtes à renforcer ce dispositif. Priver la Coupe du monde de football en Russie de la présence des princes William et Harry revêt sans doute une haute importance symbolique pour les sujets de la Couronne, mais le risque de faire ainsi vaciller les tours du Kremlin reste modeste… Face à un pays qui n’hésite pas à faire assassiner ses anciens agents ou opposants en territoire étranger, le soft power a des limites.

Agressions répétées

L’OTAN a défini l’affaire en termes calibrés. Dans un communiqué, l’organisation a exprimé sa « profonde préoccupation » à l’égard de ce qui constitue « la première utilisation offensive d’un agent innervant sur le territoire de l’Alliance » depuis la création de celle-ci en 1949. Si les mots ont un sens, cela veut dire qu’une attaque à l’arme chimique a été commise dans l’un des pays membres de l’OTAN, même si ce n’est pas cet Etat lui-même qui en était la cible.

Mercredi soir, les Etats-Unis, membre le plus important de l’OTAN, ont fait savoir que, comme le Royaume-Uni, ils attribuaient à la Russie la responsabilité de l’attaque contre l’ancien espion Sergueï Skripal et sa fille, toujours hospitalisés dans un état critique. La Maison Blanche précise que cet épisode s’inscrit dans un contexte d’agressions répétées de la Russie contre l’ordre international, la souveraineté des Etats et le processus démocratique des pays occidentaux. Elle ajoute que les Etats-Unis « s’emploient, avec leurs alliés, à ce que ce type d’attaque odieuse ne se reproduise pas ». Là aussi, la formulation est claire : le président Donald Trump, qui a toujours ménagé Vladimir Poutine, a cette fois-ci changé de ton.

Nous sommes donc entrés dans une crise prolongée, bien au-delà des relations bilatérales entre Londres et Moscou. La riposte doit être graduée, de façon à éviter que M. Poutine ne l’exploite dans les derniers jours de sa campagne pour l’élection présidentielle du 18 mars. La question a été ajoutée à l’ordre du jour du Conseil européen du 22 mars ; il est crucial que les partenaires – encore pour quelque temps – européens de la Grande-Bretagne, dont certains, comme la France, ont déjà exprimé leur solidarité avec Londres, se montrent aussi unis qu’ils l’ont été face à la crise ukrainienne. La panoplie des moyens de pression sur Moscou est large. Seule compte la détermination à l’utiliser.