Dans l’hôpital de Kpalimé, au Togo, la salle des équipements inutiles ou hors d’usage que le personnel surnomme le « cimetière des éléphants ». / Odile Meylan / Editions LED

Tribune. Le 29 mai, puis le 18 juin 2017, deux professeurs de médecine togolais sont morts coup sur coup au CHU de Lomé, dans des conditions choquantes. Le premier, 50 ans, a été victime d’un malaise cardiaque. Il était le seul spécialiste du pays en embryologie, génétique et santé de la reproduction. Le second, 57 ans, a été frappé par un AVC. Il était pédiatre et le seul spécialiste au Togo en allergologie.

Leurs destins, pourtant, n’étaient pas scellés : l’un comme l’autre auraient pu être sauvés, ont estimé leurs confrères consternés. Mais leur prise en charge en urgence a été calamiteuse. Et les pannes de plusieurs équipements, dont les appareils d’imagerie médicale, ne leur ont laissé aucune chance.

Le décès des deux spécialistes a provoqué un débat national sur « le Togo malade de ses hôpitaux ». « Il faut plus de quinze ans pour former un professeur agrégé de médecine mais quelques minutes pour le laisser mourir à cause de l’irresponsabilité des gouvernants », s’est indigné le site Togo Tribune.

Un mois plus tôt, je visitais l’hôpital préfectoral de Kpalimé, à 120 km au nord-ouest de la capitale. Les témoignages que j’ai recueillis sur la « bataille quotidienne » pour sauver les patients étaient alarmants. Le personnel soignant a notamment pointé comme un « problème crucial » les pannes récurrentes de l’appareil de radiographie, à bout de souffle.

Des appareils inadaptés aux réalités locales

Le sous-équipement de l’Afrique en imagerie médicale est dramatique. En dehors des capitales, les appareils sont rares et le plus souvent hors service. Les statistiques mondiales sont accablantes : plus des deux tiers de l’humanité n’ont tout simplement pas accès à des équipements de radiographie opérationnels. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a également constaté que trois quarts des équipements médicaux envoyés dans les pays en développement ne servent jamais.

Les scanners et autres appareils d’imagerie n’échappent pas à ce gâchis. D’abord, le recyclage dans ces pays d’appareils usagés des pays riches tourne en général au fiasco. Ensuite, les appareils neufs offerts aux hôpitaux au titre de la coopération Nord-Sud se révèlent inadaptés aux réalités locales. Ils rejoignent vite le cimetière des appareils hors service. Comme tant d’autres hôpitaux africains, celui de Kpalimé dispose d’une salle remplie d’appareils hors d’usage. « Le cimetière des éléphants », ironisait le personnel lors de ma visite.

Longtemps réticente à reconnaître l’utilité de l’imagerie dans les pays en développement et critiquée pour ce « conservatisme », l’OMS évolue. En janvier 2017, l’agence onusienne basée à Genève a publié un rapport reconnaissant pour la première fois la place de la radiographie du thorax dans le processus de diagnostic de la tuberculose. Une volte-face, car l’OMS avait auparavant toujours préconisé de se contenter d’analyser un crachat en laboratoire pour y détecter le bacille de la maladie. Les résultats spectaculaires d’une récente recherche menée au Cameroun rendent cette approche minimaliste intenable : l’imagerie détecte jusqu’à six fois plus de cas que l’analyse du crachat.

Le virage de l’OMS était attendu depuis longtemps. Il sera d’une importance majeure pour l’Afrique et les pays en développement, pronostique le médecin suisse Beat Stoll, de l’Institut de santé globale de l’Université de Genève et directeur de la fondation EssentialMed : « On meurt aujourd’hui davantage de la tuberculose que du sida », souligne-t-il.

« Le couteau suisse de la médecine de premier recours »

Beat Stoll s’est formé en Suisse à la médecine tropicale, puis a été médecin hospitalier au Cameroun. Aujourd’hui, il s’investit pour mettre le « high-tech for low cost » (innovation technologique à bas coût) au service de la médecine. L’évolution de l’OMS le conforte dans sa conviction qu’il faut changer de perspective : « La radiographie doit être promue comme le couteau suisse de la médecine de premier recours du XXIe siècle. L’imagerie médicale est un levier pour faire de la bonne médecine de proximité dans les pays en développement. »

Dépoussiérant l’image du médecin de brousse aux pieds nus soignant avec trois fois rien, le docteur Stoll souligne : « La priorité, c’est de déployer la radiographie dans les hôpitaux préfectoraux en zone rurale. On renforcera ainsi la médecine de brousse. » C’est au Cameroun qu’il a pris conscience de l’enjeu. Le déclic ? « Beaucoup de mes patients mouraient des mêmes maladies qu’en Europe, mais je ne pouvais pas les diagnostiquer sans imagerie. » On est loin du cliché qui voudrait que l’on ne meure en Afrique que de maladies infectieuses.

En 2010, un article scientifique d’un groupe médical du Stanford Hospital (Etats-Unis) montrait déjà que le diagnostic par l’imagerie était devenu « une condition pour délivrer des soins efficaces en zone rurale ». Les auteurs détaillaient comment ce besoin « avait longtemps été négligé » par la recherche et les prestataires de soins, publics et privés. Ils établissaient que les appareils de l’industrie occidentale étaient « inadaptés aux pays pauvres et à leurs conditions spécifiques ».

Pour mettre la radiographie à portée des pays en développement, Beat Stoll s’est associé à deux ingénieurs, Bertrand Klaiber et Klaus Schönenberger. Le trio a lancé une initiative de recherche basée à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). « Nous avons écouté les futurs utilisateurs, médecins et techniciens d’hôpitaux africains en zone rurale. Et nous avons compris qu’il fallait repartir de zéro », explique Klaus Schönenberger, qui coordonne le programme multidisciplinaire EssentialTech, rattaché au Centre de coopération et développement de l’EPFL.

Une machine bourrée d’innovations

De fait, un prototype est né sur le campus lausannois. Il est le résultat d’une intense collaboration avec le CHU de Yaoundé, au Cameroun. Une start-up, Pristem, lève des fonds pour passer à la prochaine étape, la phase industrielle. La production devrait démarrer en 2018 pour que les premiers exemplaires soient disponibles en 2019.

GlobalDiagnostiX, nom de code de la future machine, sera bourrée d’innovations. Elle sera plus robuste, plus simple à manier et nettement moins chère à produire et à entretenir. Exemple : le mécanisme d’ajustage du bras mobile équipé du capteur sera 100 % mécanique : cela élimine à lui seul la principale cause de panne des appareils de radiographie en Afrique, à savoir la défaillance des systèmes de commande électrique inadaptés au climat, à la poussière ambiante, etc. L’alimentation électrique sera sécurisée de manière à ce que l’appareil survive aux nombreuses coupures de réseau.

Comme le préconisait déjà le groupe du Stanford Hospital, l’équipe de l’EPFL mise sur un appareil de radiographie conventionnelle en deux dimensions, capable de répondre à 80 % des besoins en imagerie d’un hôpital de brousse. Autre innovation : la radiographie sera numérique, l’image sera directement visible et stockable sur un ordinateur portable. On sautera l’étape coûteuse en temps et en matériel du tirage de la radio sur un film. Faire une radio ne coûtera presque plus rien et celle-ci pourra être envoyée facilement, ce qui favorisera la télémédecine – une réponse à la pénurie de personnel médical dans les hôpitaux de brousse.

Beat Stoll et ses associés sont convaincus qu’une autre médecine est possible en Afrique. Si les espoirs soulevés se confirment, une révolution tranquille corrigera une injustice crasse.

François Modoux est journaliste. Avec la photographe Odile Meylan, il a publié L’Imagerie, couteau suisse de la médecine de brousse (éditions LED, Lausanne, 2017).