L’ex-président du Zimbabwe Robert Mugabe a mis fin jeudi 15 mars au silence qu’il respectait depuis sa démission sous la pression de l’armée et de son parti, en novembre, déplorant avoir été la victime d’un « coup d’Etat » qu’il a qualifié de « honte à effacer ».

« Je dis que c’était un coup d’Etat, [même si] certains ont refusé de l’appeler un coup d’Etat », a martelé d’une voix fatiguée M. Mugabe, 94 ans, dans cette première déclaration à la presse, diffusée notamment par la chaîne publique sud-africaine SABC.

Après trente-sept ans d’un pouvoir sans partage à la tête du Zimbabwe, Robert Mugabe a été contraint de démissionner le 21 novembre 2017, lâché par l’armée, par son parti, la ZANU-PF, et par la rue.

Il a été remplacé quelques jours plus tard par Emmerson Mnangagwa, son ancien vice-président qu’il avait limogé peu de temps auparavant sur les conseils de son épouse, Grace Mugabe. Celle-ci ne cachait plus son intention de lui succéder.

« Je ne veux pas être président »

« C’était vraiment un renversement par l’armée. Il n’y a eu aucun mouvement visible jusqu’à ce que l’opération soit autorisée par l’armée », a insisté jeudi Robert Mugabe, qui s’exprimait depuis sa résidence privée de la capitale zimbabwéenne, Harare.

« Nous devons effacer cette honte que nous nous sommes imposée à nous-mêmes », a-t-il poursuivi, assis derrière un bureau sous son portrait et celui de son épouse.

Sur la chaîne britannique ITV News, l’ancien chef de l’Etat affirme toutefois qu’il ne désire pas revenir au pouvoir. « Je ne veux pas être président. Non bien sûr », dit-il, ajoutant : « J’ai maintenant 94 ans. »

M. Mugabe dit ne pas en vouloir à son ancien vice-président, qui lui a succédé, mais estime que celui-ci a « trahi toute la nation ». « Je n’ai pas de haine pour Emmerson » mais « il n’est pas convenable à sa place, il n’est pas légal », poursuit le nonagénaire.

Tout au long de son règne, Robert Mugabe a essuyé les critiques des organisations de défense des droits de l’homme et de son opposition, qui l’ont accusé d’avoir systématiquement triché lors des élections pour se maintenir au pouvoir.

Une sortie « parfaitement calculée »

Depuis sa démission, M. Mugabe était resté extrêmement discret, reclus dans sa résidence. Jusqu’à cette première sortie médiatique, qui intervient à quelques mois des élections générales, annoncées par M. Mnangagwa avant juillet. « Sa sortie est parfaitement calculée », a commenté à l’AFP l’analyste Gideon Chitanga, du centre de réflexion Political Economy Southern Africa de Johannesburg. « Elle va continuer à saper la légitimité du gouvernement Mnangagwa. »

L’apparition sur une photo de l’ancien chef de l’Etat aux côtés de l’ex-général Ambrose Mutinhiri, candidat déclaré à la présidentielle, a même nourri les plus folles rumeurs sur son éventuel retour en politique. M. Mutinhiri vient de claquer la porte de la ZANU-PF (au pouvoir) et a créé un nouveau parti, le Front national patriotique (NFP).

Emmerson Mnangagwa, patron de la ZANU-PF et lui aussi en campagne pour l’élection présidentielle, a reconnu qu’« il y avait un problème avec l’ancien président ». M. Mugabe s’est plu, jeudi, à entretenir le trouble en tendant la main à son successeur. « Si pour corriger cette illégalité il veut discuter avec moi », a-t-il offert, « je suis d’accord pour discuter, pour aider à ce processus ». « Mais je dois être invité formellement à cette discussion », a souligné Robert Mugabe.

#RetiretoiEnPaixBob

Les entretiens diffusés jeudi ont, sans surprise, provoqué une avalanche de réactions. « Cet homme a détruit nos vies, a assassiné des milliers de personnes et m’a personnellement fait du mal, à moi et ma famille », a déploré sur son compte Twitter le pasteur Evan Mawarire, à la tête d’un mouvement de protestation réprimé en 2016. « Aujourd’hui, il a apparaît sur un média étranger qu’il avait interdit et demande à participer à une transition », a poursuivi M. Mawarire, ajoutant un mot-clé : #RetiretoiEnPaixBob.

« La façon dont ils se sont débarrassés de Mugabe n’est pas juste », a au contraire jugé Batsirai Tambawoga, un coiffeur d’Harare, interrogé par l’AFP. « Notre espoir est que les élections nous permettent de choisir un chef qui sera légitime. »

Interrogé par ITV News sur son bilan et sur la situation économique calamiteuse, Robert Mugabe estime « qu’en comparaison d’autres pays d’Afrique », le Zimbabwe a « eu une meilleure prospérité et les gens ont leur terre ». Concernant les attaques contre les droits humains, il reconnaît : « Oui, il y a eu des erreurs » commises.