Magic fête ses 25 ans cette année. / 2018 Wizards. All Rights Reserved

C’est à 13 ans que Raphaël Lévy pose pour la première fois ses mains sur « Magic : l’assemblée », un jeu de cartes dans lequel deux duellistes, au moyen de cartes de « sorts » et de « créatures », doivent réduire les « points de vie » de leur opposant à zéro. Présenté au public le 18 avril 1993 aux Etats-Unis, puis lancé dans le commerce l’été suivant avec l’édition Alpha, le jeu de cartes à jouer et à collectionner de « Wizards of the Coast » célèbre cette année ses deux décennies et demie d’existence.

Champion du monde par équipes avec la France en 2013 et auréolé d’un palmarès unique dans l’Hexagone, Raphaël Lévy a exercé sa passion dans toutes les compétitions internationales majeures depuis 1998. A l’occasion de la sortie, vendredi 16 mars, d’une édition anniversaire intitulée Masters 25, Pixels s’est entretenu avec le compétiteur français pour dresser un état des lieux de Magic en 2018.

Comment expliquer la longévité de Magic ?

Raphaël Lévy : Déjà, c’est un jeu qui possède un super design. Ses créateurs ont su renouveler l’intérêt des joueurs en explorant une multitude d’univers. Du médiéval fantastique pour les premières éditions aux mythologies égyptiennes, en passant plus récemment par un monde où cohabitent dinosaures et pirates.

Les règles du jeu ont également évolué avec le temps. Les équipes de « Wizards of the Coast » ont osé changer ce qu’elles avaient conçu tout au début. A l’origine, certaines règles empêchaient le jeu de se développer. Elles ont réussi à corriger ce point sans trahir l’esprit d’origine, ce qui n’était pas évident du tout.

Les règles restent nombreuses, surtout que de nouvelles mécaniques de jeu sont créées pour chaque édition. Faut-il être un trentenaire pour maîtriser Magic ?

Non ! Magic reste un jeu abordable, avec des règles de base nombreuses mais compréhensibles de tous. Il est possible de s’amuser après quelques minutes de pratique seulement, et on peut s’amuser quel que soit le niveau des participants d’ailleurs. C’est aussi une des raisons qui explique que le jeu séduit toujours. Il n’est pas nécessaire de connaître les règles qui avaient cours en 2000 et, pourtant, vous pouvez quand même jouer avec les cartes éditées en 2000. Certes, l’exigence de la compétition, c’est, en revanche, maîtriser à un niveau supérieur toutes ces règles, mais comme dans n’importe quel sport pratiqué à haut niveau.

Raphaël Lévy a été champion du monde par équipes avec la France en 2013. / 2018 Wizards. All Rights Reserved

Il y a vingt ans, Magic se jouait dans les cours de récré. Où joue-t-on aujourd’hui ?

Ça n’a pas joué très longtemps dans les cours de récré, il me semble. Les LGS (local game shops) [boutiques spécialisées où des tables sont mises à disposition] se sont rapidement développés. Au départ, ces lieux étaient plutôt réservés aux passionnés de Warhammer ou de jeux de plateau. Puis les joueurs de cartes ont pu s’y installer. Ça a donné aux communautés l’opportunité de se développer, de se retrouver, d’échanger des cartes et surtout de pratiquer. Aujourd’hui, tout le monde peut se rencontrer beaucoup plus facilement, notamment grâce à Internet qui permet d’organiser des soirées ou des journées jeux un peu partout.

Certaines cartes se revendent plusieurs milliers d’euros, comme le Black Lotus. Quel regard portez-vous sur l’aspect collection de Magic, largement soumis à la spéculation ? Cela participe-t-il à son aura ou est-ce plutôt un frein à l’investissement de jeunes joueurs ?

Ça ne devrait pas être un frein, parce qu’il y a tellement de façons de jouer à Magic. Mais je comprends qu’un collectionneur soit excité par la recherche de ces cartes rares, légendaires même. Je sais que ce marché existe mais en tant que joueur compétitif, ça n’a jamais eu d’influence sur moi. Pour la petite anecdote, je possède un Black Lotus, c’est d’ailleurs la seule carte ancienne que je possède [éditée seulement dans les trois premières éditions de Magic, le Black Lotus est la carte la plus mythique du jeu, elle se revend entre 3 000 euros et 50 000 euros].

De même que le fonctionnement de certaines mécaniques de jeu, le design des cartes a largement évolué depuis la toute première édition. / 2018 Wizards. All Rights Reserved

En vingt ans, qu’est-ce qui a changé le plus dans les grandes compétitions internationales ?

Sur le Pro Tour en lui-même [événement sur invitation, composé généralement des meilleurs joueurs mondiaux], c’est beaucoup mieux organisé maintenant. Je me souviens de tournois qui duraient des heures et des heures. De 8 heures du matin jusqu’à minuit parce qu’un ordinateur avait planté et tout retardé. Ça n’arrive plus. Ou rarement. C’est plus professionnel et c’est une bonne chose.

La couverture du tournoi aussi a changé. Il est possible de suivre les parties en direct, de se connecter à Twitch tous les week-ends pour regarder des matchs. Avant, les parties de ces événements étaient racontées à l’écrit, le néophyte pouvait avoir du mal à visualiser. Il existe maintenant tout un dispositif de caméras et de commentateurs, même s’il y a encore un travail important de pédagogie à accomplir pour toucher un public plus large.

Internet a-t-il bouleversé la préparation des compétiteurs ?

Pour un joueur occasionnel ça n’a eu que peu de conséquences, mais ça a bouleversé l’approche tactique du joueur compétitif. En 1995, pour trouver de nouvelles stratégies, on se mettait autour d’une table avec quelques copains et on expérimentait des combinaisons. On arrivait sur un tournoi et on jouait avec ce qu’on avait trouvé. Il arrivait qu’on ait imaginé une stratégie que personne n’avait encore vue, et tout le monde sur le tournoi vous regardait avec des grands yeux.

A présent, l’effet de surprise a quasiment disparu. La victoire va maintenant se décider sur quelques petits ajustements mis en place à partir des listes de jeu connues. La préparation reste bien évidemment importante, et il est toujours nécessaire de rester à jour parce qu’il faut connaître les nouvelles cartes, mais c’est la lecture du jeu, acquise avec l’expérience, qui permet aux meilleurs joueurs de conserver un temps d’avance sur les autres.

Rares sont les joueurs qui réussissent à vivre de Magic. / 2018 Wizards. All Rights Reserved

Peut-on vivre de Magic en 2018 ?

Seulement avec les primes de tournoi ? C’est quasiment impossible. Ceux qui peuvent en vivre se comptent sur les doigts de la main, ou peut-être des mains et des pieds. Les primes ne sont pas assez conséquentes et Magic reste un jeu où le plus fort des deux duellistes peut perdre, il y a une composante aléatoire qui rend impossible une maîtrise complète de l’environnement.

En revanche, un joueur de haut niveau peut cumuler ses primes avec l’écriture d’articles pour des sites de stratégie. Une bonne cinquantaine de joueurs vit de ses primes, sponsors et divers travaux de conseil.

Où se situe la France dans la hiérarchie mondiale ?

La France a été une nation qui compte, à l’époque des frères Ruel [2000-2010]. Aujourd’hui, elle se situe un peu au-dessus du ventre mou. C’est difficile à dire, mais le vivier de joueurs performants et réguliers n’est pas immense. On peut citer Gabriel Nassif, Jérémy Dezani et Pierre Dagen. On doit donc se situer dans les dix meilleures nations du monde, mais pas dans le groupe de tête non plus. Les Japonais et les Américains sont très bons, mais ils sont aussi très nombreux !

Comment envisagez-vous le futur de Magic ?

« Wizards of the Coast » semble avoir retrouvé de l’ambition avec Magic : Arena [une adaptation en jeu vidéo, dont la sortie est prévue cette année]. Espérons que l’expérience sera solide et attrayante, parce que Magic le mérite. C’est un jeu tellement riche, sinon il n’aurait pas 25 ans ! Quant à moi, je n’ai pas de raisons d’arrêter de jouer. Magic est dans ma vie depuis mes 13 ans et il continuera à l’être. Ce jeu m’a tellement apporté et continue de m’apporter, encore aujourd’hui.

Lire notre portrait de Raphaël Lévy : Jouer aux cartes Magic, un travail à temps plein