Editorial du « Monde ». Macron n’est pas « foutu » parce que les vieux sont dans la rue ! Mais la mobilisation des retraités, jeudi 15 mars, constitue un sérieux avertissement. Dans la capitale comme dans de nombreuses villes, ils étaient, en effet, plusieurs dizaines de milliers, venus manifester pour défendre leur pouvoir d’achat.

Cette crispation était prévisible. Depuis le 1er janvier, une bonne moitié des retraités – ceux qui touchent plus de 1 289 euros net par mois – ont vu le taux de contribution sociale généralisée (CSG) ponctionnée sur leur pension passer 6,6 % à 8,3 %. Or, contrairement aux salariés du secteur privé et aux fonctionnaires, cette hausse de 1,7 point n’est pas – ou pas encore – compensée et se traduit donc par une perte équivalente de revenu.

La philosophie du chef de l’Etat est connue. Elle figurait en bonne place dans sa campagne présidentielle et il l’a répété et « assumé » à plusieurs reprises depuis. Le 15 mars encore, en déplacement en Touraine, Emmanuel Macron a réexpliqué que « ce sont les actifs qui paient » les pensions des retraités. La priorité est donc de « remettre la France dans le travail » et, au nom de la « solidarité générationnelle », de demander un effort aux seniors. D’autant qu’ils bénéficient, globalement, d’un niveau de vie légèrement supérieur à celui de l’ensemble de la population. En outre, plaide le gouvernement, si la hausse de la CSG touche effectivement, dans l’immédiat, près de 60 % des retraités, l’impact de la mesure s’atténuera progressivement grâce à la suppression de la taxe d’habitation pour 80 % d’entre eux.

Gros bataillons d’électeurs

Il n’empêche que le mécontentement est inévitable. D’abord à cause du calendrier des mesures : la CSG augmente dès à présent alors que la suppression de la taxe d’habitation sera étalée sur trois ans et ne produira ses premiers effets qu’à partir de l’automne. Ensuite, s’il est exact que le seuil de déclenchement de la hausse de la CSG correspond, à quelques euros près, au niveau moyen des retraites, il est difficile pour les intéressés d’admettre qu’ils font partie des retraités « aisés ». Enfin, cette mesure vient s’ajouter à plusieurs autres prises ces dernières années (suppression progressive de la demi-part des veuves, fiscalisation de la majoration de pension pour les parents ayant élevé trois enfants, contribution additionnelle de 0,3 % pour financer la prise en charge de la dépendance…).

Pour le gouvernement et le président, le risque de cette grogne est tout sauf négligeable. Les 16 millions de retraités français constituent de gros bataillons d’électeurs (un tiers de l’électorat), et d’électeurs déterminants, moins abstentionnistes et moins volatils que les plus jeunes. Ils avaient largement contribué à la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007, et leur désaffection relative lui avait été fatale en 2012. De même, en 2017, 76 % des plus de 65 ans ont voté pour Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle, soit 10 points de plus que son score national.

Si les seniors continuent à soutenir plus fermement le chef de l’Etat que la moyenne des Français, leur grogne actuelle est très perceptible : depuis janvier, Emmanuel Macron a perdu, chez les plus de 65 ans, 9 points de confiance selon la Sofres et 6 points selon l’IFOP. Il n’y a pas encore péril en la demeure. Mais un sérieux effort de pédagogie va être nécessaire pour convaincre les retraités qu’ils ne sont pas les laissés-pour-compte du « nouveau monde » macronien.