Au Consumer Electronics Show de Las Vegas, en janvier 2017. / FREDERIC J. BROWN / AFP

A l’heure de la « start-up nation », la petite annonce publiée sur le site de la Bourse interministérielle de l’emploi public peut surprendre : « Poste à pourvoir : directeur (trice) de la Mission French Tech » ; « Statut : vacant ». Le titulaire du poste a quitté ses fonctions en décembre 2017 et n’a pas encore été remplacé. Pourtant, cette structure, logée au sein de Bercy, a activement œuvré au foisonnement des start-up en France, regroupées sous la marque « French Tech », en facilitant leur création et leur rayonnement à l’international.

« Cette vacance du poste a ouvert une période propice aux propositions et aux réflexions pour avancer de nouvelles perspectives à la French Tech », explique Mathis Cohen, coauteur, avec Thibaud Frossard, d’un rapport publié par Terra Nova sur le sujet, vendredi 16 mars.

Leur proposition tient en peu de mots : il faut « privatiser la French Tech ». Car, malgré les succès remportés jusqu’ici par la Mission French Tech, les auteurs affirment qu’à présent « la finalité, l’organisation et la gouvernance [proposées par les pouvoirs publics] sont mal comprises par les entrepreneurs, qui commencent à s’en détourner ».

Un coup dur

Concrètement, il s’agirait de confier une action aujourd’hui du ressort de l’Etat à une fondation déclarée d’utilité publique, au sein de laquelle le secteur privé (entrepreneurs au premier rang, financeurs, grands groupes…) disposerait d’une large majorité. Cette « Fondation French Tech » serait dotée d’un capital de 200 millions d’euros (abondé par le public ou le privé). Les intérêts générés par cette somme permettraient de financer ses actions. « Quoi de mieux pour lancer la “start-up nation” que de donner les clés d’une politique publique à l’écosystème, tout en gardant, bien sûr, une place à l’Etat dans la gouvernance », plaide M. Cohen.

La proposition, clivante, a en tout cas le mérite d’alimenter la réflexion sur les leviers à actionner pour permettre aux start-up françaises de franchir un nouveau palier. Surtout à un moment où quelques couacs viennent perturber la douce mélodie du succès de la « start-up nation » française.

« Le problème, ce n’est plus la création d’entreprises, c’est la croissance »

En janvier, la pléthorique délégation française au Consumer Electronics Show de Las Vegas, où se pressent toutes les start-up de la planète, a suscité des commentaires ironiques. En février, Bercy recevait une délégation d’entrepreneurs français remontés contre la décision du ministre de l’économie, Bruno Le Maire, d’élargir le décret Montebourg sur la protection des investissements étrangers au secteur du stockage des données numériques et à l’intelligence artificielle – signe, selon eux, d’une France fermée aux conquêtes internationales. En mars, la start-up lilloise spécialisée dans la vidéo Giroptic, jugée longtemps très prometteuse, était placée en liquidation judiciaire. Un coup dur, qui interroge sur la capacité de la France à créer des géants de la « tech ».

« Il faut passer à l’étape deux, celle du raffinage »

Après avoir réussi à faire émerger des start-up en nombre, comment en transformer le plus possible en champions de taille mondiale ? « La mission première de la French Tech a été partiellement, voire entièrement, réalisée. Il est normal qu’on veuille lui [en] assigner de nouvelles. Le problème, aujourd’hui, ce n’est plus la création d’entreprises, c’est la croissance », explique Fleur Pellerin, qui a fait naître la French Tech en 2013 en tant que ministre déléguée aux PME, à l’innovation et à l’économie numérique (2012-2014).

Les propositions pour un nouvel élan ne manquent pas. « Les sujets de fiscalité et de financement sont centraux », estime Jean-David Chamboredon, président de l’association France Digitale. « On a eu la chance d’avoir ce mouvement de fond très collectif, maintenant, il faut passer à l’étape deux, qui est celle du raffinage. Il faut assumer de tirer les meilleurs », plaide pour sa part Gaël Duval, proche d’Emmanuel Macron et fondateur de JeChange, spécialisée dans la comparaison et la réduction des factures.

Quant à la forme que cette action devrait prendre et aux moyens qui doivent lui être dévolus, Fleur Pellerin estime que l’idée de créer une fondation privée « n’est pas absurde », à un moment où « peu de moyens » sont consacrés à la promotion de l’écosystème. Une solution écartée par le secrétaire d’Etat chargé du numérique, Mounir Mahjoubi, qui promet « une nouvelle impulsion de la French Tech dans les prochains mois ». Avec un credo clair : « On n’est plus au moment de l’éclosion, on est au moment de l’envol. »