Lorsque Aimee Mullins et Hugh Herr s’avancent sur la scène du centre de convention d’Austin (Texas), lors du festival South by Southwest (SXSW), lundi 12 mars, le public, venu en nombre, ne peut détacher son regard des jambes de ces « superhumains ». La première, amputée des membres inférieurs à l’âge d’un an, a accompli une carrière d’athlète olympique et de mannequin. Hugh Herr, quant à lui, arbore des prothèses sophistiquées depuis un accident d’escalade alors qu’il était adolescent. Une condition qui ne l’a pas empêché de reprendre des ascensions de haut niveau – et l’a aussi conduit à faire de la recherche en biophysique au prestigieux MIT Media Lab.

Brillants et séduisants, les deux Américains sont venus parler du futur et des capacités des prothèses bioniques. Ils évoquent comment celles-ci vont transcender les capacités humaines et comment, d’une certaine façon, les cyborgs sont déjà parmi nous. On pouvait croiser dans le festival d’autres de ces ambassadeurs, comme l’actrice Angel Guffria qui a documenté sur Twitter son séjour et ses problèmes quotidiens de cyborg, mais aussi le Britannique James Young, surnommé « Metal Gear Man » depuis qu’il arbore une prothèse conçue avec Konami, l’entreprise éditrice du jeu vidéo éponyme.

Des pouvoirs de superhéros

« Aimee et Hugh sont des superstars dans l’univers de la mobilité humaine de par leur accomplissement sportif, leur engagement public, leur participation à la recherche et au développement », explique Hans Georg Nädar, le patron d’Ottobock, l’un des plus grands fabricants de prothèses sis en Allemagne. Une façon de faire remarquer que leur cas reste rare parmi les personnes amputées dans le monde.

La question des humains augmentés, des êtres bioniques, fascine les participants du festival SXSW qui se tient jusqu’au dimanche 18 mars dans la capitale texane. Pour la plupart, les panels consacrés à la question se remplissent vite. Et pour cause : en plus des prothèses de plus en plus élaborées, articulées et performantes pour la pratique sportive, les avancées en la matière sont spectaculaires.

« La question qui se pose est : pouvons nous donner aux humains des pouvoirs de super-héros, et aller bien au-delà de la physiologie humaine innée ? Un domaine incroyablement intéressant est celui de la recherche visant à relier le système nerveux humain avec l’électromécanique », explique Hugh Herr, lors de la conférence. Avant d’ajouter :

« Il y a des travaux excellents qui sont réalisés en ce moment sur le sujet, et, à terme, l’idée est de travailler la sensation entre l’humain et la partie synthétique, qu’il ressente comme un membre. Quand on demande à nos patients qu’est-ce que leur corps, ils incluent complètement le membre artificiel. »

La veille, de l’autre côté du fleuve Colorado qui traverse Austin, des militants locaux pour les libertés numériques organisaient la première Cyborg Pride afin de « sensibiliser le public aux questions de droit qu’engendre le fait que des humains soient constitués d’éléments technologiques ». Seules une dizaine de personnes ont marché dimanche soir. Parmi les participants, surtout des alliés de la cause cyborg. Pas de Aimee Mullins ou de Hugh Herr. « Des droits égaux pour les mutants », « tous les morceaux de mon corps sont à moi », « mes données, mon droit »… le moral des militants ne s’effrite pas à en dépit des ricanements des badauds.

Le courant transhumaniste « bodyhacking »

« On ne s’attend pas à avoir beaucoup de monde », expliquait Richard MacKinnon, l’organisateur, quelques heures avant la marche. Cet ancien président de l’antenne locale de l’Electronic Frontier Fondation (EFF), une association historique de défense des droits numériques, se consacre désormais à la cause cyborg. Ce n’est pas la première fois qu’il tient tribune à SXSW. En 2017, il se trouvait aux côtés de son ami Neil Harbisson, artiste et célébrité du monde cyborg.

Richard MacKinnon organise également à Austin le Borgfest, convention portant notamment sur le bodyhacking, un courant transhumaniste qui défend la possibilité pour les humains de s’augmenter artificiellement. Cette année, la conférence à laquelle il participe à SXSW est réduite à un petit comité de curieux. Pour cause, pas de démonstration bionique cette fois, il s’agit plutôt d’un cours de droit. Pour le militant, c’est sans importance : « l’EFF a commencé autour d’une fête au début des années 1990 et, maintenant, c’est une organisation importante qui remporte des batailles juridiques à un haut niveau. »

Neil Harbisson : l'homme cyborg qui écoute les couleurs
Durée : 02:29

Selon M. MacKinnon, il est important de défendre dès aujourd’hui les intérêts des personnes, dont des technologies sont le prolongement de leur corps, ou qui envisagent d’y recourir :

« Il y a vingt ans, les gens se désintéressaient de leurs droits numériques, puis la police s’est mise à perquisitionner des ordinateurs, les enjeux se sont multipliés. Regardez maintenant comment c’est devenu une discussion de premier plan. »

Il y a la question des brevets par exemple : « A l’heure actuelle, les technologies que l’on embarque ne nous appartiennent pas, elles appartiennent au fabricant. Lors d’une greffe d’organe, on admet pourtant que la partie étrangère est la vôtre désormais. Personne ne le remet en cause. Cela devrait être pareil pour les cyborgs. »

Richard MacKinnon à gauche accompagné de l’actuel président de l’EFF d’Austin, Kevin Welch. / Pauline Croquet / Le Monde

Il avance aussi l’absolue nécessité de protéger les droits en matière de données personnelles générées par ces éléments bioniques existants ou à venir. Mais aussi réguler les mises à jour fournies par les fabricants. « Imaginez dans le futur qu’on doive mettre à jour un logiciel qui est présent dans votre corps. Déjà que, quand on vous fait des mises à jour inopinées sur votre ordinateur quand vous travaillez, c’est pénible, on n’ose pas imaginer ce qu’il adviendrait sur des logiciels que vous portez en vous », ajoute Kevin Welch qui milite à l’EFF d’Austin.

Plus globalement, il s’agit pour les défenseurs des cyborgs de lutter contre les discriminations, les violences et l’incompréhension du grand public. « Parfois, par méconnaissance, la police ou bien des personnes confondent ces technologies que les cyborgs considèrent comme faisant partie de leur corps avec des gadgets. »

Richard MacKinnon a rassemblé l’ensemble de ces droits dans une charte. « A l’image des mouvements LGBTQ +, nous sommes un mouvement inclusif. Les gens sont les bienvenus et peuvent se revendiquer cyborg quel que soit leur pourcentage de technologie. »