Le président russe, Vladimir Poutine, lors d’un forum, à Moscou, le 15 mars. / Alexander Zemlianichenko / AP

Les Russes s’apprêtent à voter pour leur nouveau président dimanche. Vladimir Poutine est pratiquement certain de remporter le scrutin. Dans un contexte de crise avec l’Occident autour du scandale de l’empoisonnement de l’ex-espion Sergueï Skripal. La journaliste Isabelle Mandraud, correspondante du Monde à Moscou, a répondu aux internautes.

La crise actuelle entre la Russie et de nombreux pays occidentaux peut-elle avoir une influence sur le scrutin de dimanche ? Cette affaire peut-elle déstabiliser Poutine ?

Isabelle Mandraud : Le risque d’une déstabilisation paraît faible. Il n’y a pas de suspense dans cette élection acquise à Vladimir Poutine. Le seul point d’interrogation réside dans le taux de participation. Dans ce contexte, pour ne pas détourner l’attention de l’électorat, le Kremlin a pris soin jusqu’ici de ne pas surréagir face aux accusations de l’Occident dans l’affaire de l’ex-espion russe Skripal empoisonné.

Quel est, en quelques mots, le bilan de Poutine à la tête du pays qu’il dirige depuis maintenant dix-huit ans ?

Résumer dix-huit ans de pouvoir en quelques mots n’est pas simple. Disons que le bilan de Vladimir Poutine est pour le moins nuancé. L’amélioration du niveau de vie des Russes enregistrée lors de ses deux premiers mandats (2000-2004 et 2004-2008) est aujourd’hui ternie par les crises financières, les sanctions et la dépendance des cours du pétrole, dont la Russie n’est jamais sortie, malgré les promesses.

Les libertés se sont réduites avec l’introduction en 2012, par exemple, de l’étiquette « agent de l’étranger » pour les ONG dans le domaine des droits humains. Les relations avec l’Occident, surtout, se sont fortement dégradées depuis l’annexion en 2014 par la Russie de la Crimée et le conflit dans l’est de l’Ukraine.

L’autre dossier majeur de désaccord concerne la Syrie où le chef du Kremlin a engagé ses forces militaires en 2015 en soutien à son allié Bachar al-Assad… Tout cela a mis la société russe sous tension et relégué à l’arrière-plan les questions économiques et sociales essentielles.

Peut-on vraiment parler d’« élection » présidentielle ?

Sept autres candidats se présentent le 18 mars, mais il n’y a pas vraiment de concurrence. L’opposition russe est non seulement divisée mais affaiblie. Le principal concurrent, Alexeï Navalny, a été écarté de la compétition pour une condamnation pénale qu’il réfute… Vladimir Poutine devrait être réélu pour un nouveau mandat de six ans. C’est une élection sans suspense et sans surprise.

Jusqu’où peut aller la montée de la tension OTAN-Russie et quels sont les enjeux pour chacun ?

Personne ne peut le dire. Les tensions sont récurrentes depuis 2014. Mais la militarisation de la Russie vantée par son président inquiète. Lors de son discours du 1er mars, il a lui-même mis en scène une confrontation avec l’Occident en exposant, pendant quarante-cinq minutes, son nouvel arsenal militaire nucléaire sur écran géant…

Est-ce que les événements au Royaume-Uni et les nouvelles vagues de sanctions à quelques jours du scrutin peuvent être perçus comme des tentatives d’ingérence des Anglo-Saxons dans la campagne présidentielle russe ? Comment cela est-il perçu par la population ? Cela peut-il avoir une incidence dans le vote ?

Les autorités russes n’ont pas attendu la crise diplomatique ouverte avec la Grande-Bretagne, pour dénoncer une ingérence occidentale dans l’élection russe… La confrontation sert les intérêts du Kremlin qui brandit souvent l’image d’une Russie assiégée par l’OTAN à ses frontières.

La répétition de ces crises avec l’Occident suffit-elle à occulter toutes les autres questions ? Y a-t-il un débat en Russie sur le bilan de Vladimir Poutine ?

Le chef de l’Etat n’a participé à aucun débat télévisé. Il n’a présenté aucun programme de réformes économiques et sociales pourtant essentielles pour la population, comme le montrent les sondages. Les salaires ont été rehaussés. Mais son bilan n’est pas discuté.

Peut-on parler d’une nouvelle guerre froide ?

La guerre froide revient en force dans l’actualité mais sous un jour un peu différent du passé. L’URSS n’existe plus, même si sa disparition est considérée par Vladimir Poutine comme la « plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle ». Depuis plusieurs années, le chef du Kremlin conteste un « monde unipolaire » dominé par les Américains ; la faiblesse des Etats-Unis incarnée par Donald Trump le pousse à accélérer dans cette direction.

Quel est maintenant le principal rival de Vladimir Poutine si Alexeï Navalny est « absent » ?

Tous les candidats figurent loin derrière lui dans les intentions de vote, si l’on en croit les sondages. Son principal rival, si tant est que l’on puisse parler de rivalité, devrait être le candidat présenté par le Parti communiste, Pavel Groudinine, un homme d’affaires, millionnaire, dit-on, qui n’est pas encarté…

Ce scrutin est-il garanti (par des observateurs internationaux) de représenter le souhait de l’électorat russe ? Qu’en est-il de l’opposition ou des médias opposés au régime ?

Vu l’immensité du territoire, la mission des quelque 150 observateurs internationaux relève de la gageure. Néanmoins, l’opposition tente de mobiliser des milliers de volontaires, en mutualisant leurs forces, pour observer le scrutin.

L’enquête sur l’empoisonnement a à peine commencé. Pourquoi les Etats occidentaux réagissent-ils si vite et si fort en cette période si confuse (Syrie, Turquie, Iran…). Leur agenda n’est pas très clair. Ont-ils chacun besoin de montrer leur détermination pour satisfaire leur propre population ?

L’affaire en elle-même n’est pas banale ; il s’agit d’une tentative d’empoisonnement qui a mis en péril non seulement l’ex-espion et de sa famille, mais d’autres personnes, sur le sol britannique. La déclaration conjointe des dirigeants de Londres, Berlin, Paris et Washington est intervenue après une dizaine de jours.

Contrairement à ce que promet M. Poutine depuis dix-huit ans, la corruption ne diminue pas, l’économie est toujours aussi dépendante du pétrole, l’état des routes, des hôpitaux, des écoles ne s’améliore pas… Comment fait le Kremlin pour faire oublier tous ces sujets ?

Il en parle, il promet. Il serait injuste aussi de pas évoquer la modernisation des grandes villes qui se poursuit, en particulier à Moscou. Mais dans l’ensemble, les problèmes des routes et des hôpitaux demeurent, tout comme la corruption, malgré quelques arrestations choisies et médiatiques.

L’électorat de Poutine (retraités, petites villes délaissées…) semble être celui qui profite le moins de sa politique. Comment expliquer ce paradoxe ?

C’est exact, mais la télévision publique n’évoque quasiment jamais ces sujets. Lorsqu’on parle avec des habitants, hors des grandes villes, beaucoup exposent les difficultés dans leur vie quotidienne. Mais ils ajoutent aussitôt qu’ils se sentent rassurés, dans ce monde incertain, par la présence d’un président « fort ». Et ils posent la même question : « Qui d’autre ? » Le principal atout de Vladimir Poutine, c’est Poutine, ou plutôt l’absence d’une alternative jugée crédible.

Les habitants de la Crimée récemment annexée vont-ils participer à cette élection ? Connaît-on la tendance de ces votes ?

Pour la première fois depuis l’annexion en 2014, les habitants de Crimée vont, en effet, participer à une élection présidentielle russe. Et ici comme ailleurs, les pressions sont fortes pour participer au vote. Sans doute, de nombreux Criméens, au cœur des tensions depuis quatre ans du fait de l’annexion, répondront-ils à cet appel. Cependant, la majorité des Tatars de Crimée, en butte avec le pouvoir, ne se déplacera pas.