Des militaires français et des réfugiés hutu, pendant le génocide au Rwanda en 1994. / HOCINE ZAOURAR / AFP

Editorial du « Monde ». A quoi bon enquêter sur le rôle de la France avant et pendant le génocide des Tutsi en 1994 au Rwanda ? Tout n’a-t-il pas déjà été dit par la Mission d’information parlemaentaire de 1998 ? Les archives n’ont-elles pas été déclassifiées par François Hollande en 2015 ? Nicolas Sarkozy n’a-t-il pas reconnu en 2010 des « erreurs d’appréciation, des erreurs politiques » qui « ont eu des conséquences absolument dramatiques » ? Eh bien non. Il reste d’importantes zones d’ombre.

Certaines relèvent de la France, d’autres pas. Ce génocide, le dernier du XXe siècle, est loin d’avoir été élucidé dans toutes ses dimensions. A commencer par son « déclencheur », l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président hutu Juvénal Habyarimana : ce crime, qui est à l’origine mais qui n’est pas la cause des massacres qu’une partie du régime en place avait largement préparés, est devant la justice française depuis vingt ans, sans que l’enquête soit close. D’autres procédures sont en cours, visant des militaires français pour leur rôle durant l’opération militaro-humanitaire « Turquoise » intervenue fin juin 1994, avec pour mandat de l’ONU de faire cesser les massacres et de protéger les civils. Ces procédures sont devenues une gêne diplomatique et un abcès de fixation.

La série d’enquêtes que Le Monde vient de publier montre que le rôle de la France, meilleur soutien du régime Habyarimana dans sa guerre contre la rébellion tutsi du Front patriotique rwandais – FPR –, est loin d’avoir été clair pendant les massacres. « Turquoise », dans l’esprit de certains dirigeants français, devait, sous couvert d’humanitaire, remettre en selle le gouvernement intérimaire rwandais, auteur du génocide. Trop occupée à massacrer des civils, l’armée rwandaise était, en effet, en train de perdre la guerre contre le FPR. Quand les soldats de « Turquoise » ont débarqué au Zaïre voisin, il était – heureusement – trop tard pour reprendre le contrôle de Kigali, la capitale.

Travail incomplet

D’autres faits sont troublants. Pourquoi et comment des livraisons d’armes aux Forces armées rwandaises (FAR) ont-elles pu avoir lieu sous les yeux des soldats français en plein embargo de l’ONU ? Que faisaient et que savaient les militaires français restés aux côtés des FAR après le début du génocide ? Enfin, pourquoi des avertissements explicites – comme la note de la délégation aux affaires stratégiques du ministère de la défense que nous avons révélée – sur la catastrophe à venir, la répétition de massacres précurseurs, la formation de milices, la préparation des esprits, ont-ils été ignorés ?

Sur tous ces points, le travail de la mission parlementaire de 1998 est pour le moins incomplet et ses conclusions lénifiantes. Les tribunaux ne sont pas le lieu, non plus, pour dire sereinement l’Histoire. Parce qu’ils sont les premiers visés par les instructions en cours, des militaires sont sortis de leur réserve, pour se défendre ou mettre en cause les ordres reçus. C’est aux politiques et à leurs archives qu’il incombe de « parler ». A commencer par celles de François Mitterrand, qui a joué un rôle essentiel dans le soutien au régime rwandais de 1990 à 1994. Ses écrits sont consultables, mais uniquement selon le bon vouloir de Dominique Bertinotti, gestionnaires des archives du président défunt.

Emmanuel Macron, qui n’a pas d’héritage politique à ménager, ni à droite ni à gauche (la France était en cohabitation en 1994), est le mieux placé aujourd’hui pour rendre réelle et effective la déclassification annoncée par son prédécesseur en 2015. C’est une exigence morale et historique.

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