La file d’attente pour voter à l’ambassade de Russie à Londres, dimanche 18 mars. / Tim Ireland / AP

Une vague de froid fort symbolique s’est abattue sur Londres, dimanche 18 mars, laissant une couche de neige sur les voitures et dans les parcs. Pas de quoi décourager les Russes de Londres d’aller voter pour cette élection présidentielle. Toute la journée, une file d’attente s’est allongée devant le consulat situé dans le très chic quartier de Kensington Palace Gardens, à deux pas de la résidence de l’ambassadeur de France.

Outre le thermomètre qui ne dépassait pas zéro degrés, les électeurs – 2 500 votes à 15 heures – ont dû affronter un groupe d’opposants installés sur le trottoir d’en face, criant sa colère contre ces « élections truquées ». « Si vous ne traversez pas ici (et renoncez à voter), vous serez une disgrâce pour notre pays », lançait Evguéni Tchitchvarkine, un ancien oligarque qui a dû fuir la Russie en 2009 et menait la manifestation.

Pour ces deux camps opposés, la tentative d’assassinat contre l’espion transfuge Sergueï Skripal en Angleterre le 4 mars, il y a exactement deux semaines, rendait ce jour d’élection d’autant plus symbolique. « Après ce qu’il s’est passé ici, il est encore plus de notre devoir de venir voter », témoignait « Tim », qui refusait de donner son vrai nom. « Bien sûr qu’il faut voter, même si je n’ai pas trop aimé le dernier discours de Poutine mettant en avant les armes nucléaires », confirmait un jeune homme qui ne tenait pas non plus à dire son nom.

Des électeurs hésitant

La foule qui attendait devant l’ambassade était pourtant loin d’être composée uniquement de pro-Poutine. Déjà en 2012, le président russe n’avait recueilli à Londres que 21 % des voix, loin derrière l’opposant Mikhail Prokorov, qui avait obtenu 57 % (à comparer à son score officiel en Russie, de 8 %). « En Russie, je n’irais pas voter parce que ça ne sert à rien, mon bulletin ne serait pas comptabilisé, expliquait Julia, 31 ans. Mais ici, il est probable que l’ambassade de Russie soit plus transparente dans son processus électoral et que mon vote, qui ira à un opposant de Poutine, comptera. » Londres est pour elle l’endroit où s’exprimer par les urnes peut être utile, même si elle ne se faisait aucune illusion sur le résultat final.

Mais si la jeune femme n’apprécie pas du tout le président russe, elle n’est guère convaincue de l’explication officielle des Britanniques dans l’affaire Skripal. « Quel est l’intérêt pour la Russie de commanditer ce meurtre juste avant les élections ? Et puis, on dit que seule la Russie peut produire ce poison. Mais pour pouvoir le tester et le comparer, le laboratoire britannique devait bien en avoir un échantillon, non ? Et l’ingénieur chimique qui l’a mis au point autrefois habite désormais aux Etats-Unis, il aurait pu en fabriquer ailleurs. » Selon elle, les Britanniques ont conclu beaucoup trop vite que le Kremlin était coupable.

Anna, une francophone faisant la queue devant l’ambassade, illustrait les profondes hésitations qui traversaient ces électeurs. « Bien sûr que ces élections ne sont pas libres. Les opposants qui sont sur les listes ne sont là que pour la façade et je comprends les appels au boycott », disait-elle. Sa famille en Russie ne s’est pas déplacée aux urnes. Mais elle se serait sentie « coupable » de ne pas voter et espérait qu’une voix contre Poutine ferait une petite différence.

« Il faut être pour Poutine ou pour l’Occident »

De l’autre côté de la rue, Lizzie, 19 ans, a fini par renoncer à la dernière minute. L’étudiante était venue pour voter, mais a été convaincue par les manifestants de choisir l’abstention. « Ces élections sont une mascarade, donnant l’illusion du choix. Les différents candidats sont des marionnettes. » Elle regrette l’absence d’Alexeï Navalny, le principal opposant de Vladimir Poutine, interdit de scrutin suite à un procès pour corruption aux relents très politiques.

Tonia Samsonova, journaliste à Londres pour la radio indépendante Echo de Moscou, n’a pas voté elle non plus, pour la première fois de sa vie. « Ça va contre toute ma carrière, pendant laquelle j’ai toujours incité les gens à s’impliquer », s’attristait-elle. Elle qui milite contre le régime de Vladimir Poutine regrette amèrement l’affaire Skripal. « Je suis contre Poutine mais pro-russe, mais ce genre de nuance se perd maintenant. Soudain, on est obligé de choisir son camp : il faut être pour Poutine ou pour l’Occident, il n’y a plus d’espace entre les deux. » Elle regrette les invectives de l’oligarque déchu Evguéni Tchitchvarkine, qui apostrophe rudement les électeurs dans la file d’attente. « Ce n’est pas comme ça qu’on va réussir à se rassembler. »