A Paris, un arrêté préfectoral de 2010 interdit la consommation et la commercialisation des poissons prélevés dans la Seine, la Marne, l’Yerres et les canaux (Ourcq, Saint-Denis, Saint-Martin). / FRED DUFOUR / AFP

La pêche du dimanche va-t-elle tomber à l’eau à Paris ? Le petit monde des pêcheurs frétille de crainte alors que la conseillère Danielle Simonnet (La France Insoumise) a présenté un vœu pour l’interdiction de la pêche dans la capitale lors du prochain Conseil de Paris, du 20 au 22 mars. Le groupe écologiste a également demandé la fin de la pêche avec ardillon – cette pointe sur l’hameçon qui empêche le poisson de se décrocher – et avec des appâts vivants d’ici à la fin 2019.

Leur ligne d’attaque est simple. « A Paris, les poissons souffrent uniquement pour le loisir, étant donné que leur consommation et leur commercialisation sont interdites pour des raisons de santé publique », dénonce Amandine Sanvisens, présidente de Paris Animaux Zoopolis, citant un arrêté préfectoral de 2010 qui concerne les espèces prélevées dans la Seine, la Marne, l’Yerres et les canaux (Ourcq, Saint-Denis, Saint-Martin). L’association a lancé, aux côtés de l’ONG La Question aquatique, une campagne d’affichage dans le métro de Paris, ainsi qu’une pétition, qui a recueilli plus de 15 000 signatures.

Souffrance silencieuse

La militante animaliste détaille les conditions endurées par les silures, brochets, carpes et autres perches attrapés dans les eaux parisiennes. « En les extrayant brutalement de leur milieu, on les met dans un état de stress et de terreur, sans compter les blessures infligées par les hameçons et la manipulation. Bien souvent, les poissons capturés agonisent dans l’eau et finissent par mourir », déplore-t-elle, en évoquant une étude internationale selon laquelle jusqu’à 90 % des poissons rejetés à l’eau, selon les espèces, meurent dans les jours suivants. 

Une situation méconnue, car « contrairement aux animaux terrestres, il n’y a aucune réglementation sur la souffrance des poissons, qui est silencieuse » : « On ne les entend pas crier, ils ne possèdent pas d’expressions faciales, de sorte que nous ressentons moins d’empathie. »

Pourtant, rappelle-t-elle, ces animaux sont capables d’émotions, dotés d’une personnalité, d’une mémoire à long terme, peuvent communiquer entre eux de manière élaborée et entretiennent des relations sociales complexes. Des facultés démontrées dans de récentes études scientifiques, et rappelées par un collectif de chercheurs dans une tribune publiée en 2017 par Libération.

Dépollution des cours d’eau

A la Fédération nationale de la pêche en France, le président, Claude Roustan, s’étonne que l’on puisse s’attaquer à une « activité populaire », au poids économique fort (2,1 milliards d’euros par an dans le pays). Plutôt que d’évoquer la souffrance des poissons – dont « nous ne sommes pas certains », hasarde-t-il –, il préfère insister sur les « actions de terrain » des pêcheurs pour dépolluer les cours d’eau ou éduquer à l’environnement.

A Paris, un plan départemental pour la protection des milieux aquatiques et la gestion des ressources piscicoles est en cours de finalisation pour les cinq années qui viennent. Au-delà d’un état des lieux des ressources (une trentaine d’espèces présentes dans les cours d’eau, dont une vingtaine qui sont pêchées) et de leurs habitats, « il présentera des actions pour améliorer la qualité des milieux, comme la revégétalisation des berges, l’installation de passes à poissons ou la sensibilisation des élus et du grand public », explique Marion Escarpit, directrice de la Fédération interdépartementale de pêche (Paris, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne). D’un coût de 200 000 euros, il est notamment financé par les pêcheurs, par le biais de la carte (75 euros par an) requise pour s’adonner à leur loisir.

S’il est difficile d’avoir des chiffres sur les quantités de poissons prélevés par les 9 000 pêcheurs qui ont leur permis à Paris, Marion Escarpit en est sûre : « La majorité remettent les poissons à l’eau, c’est la pratique du no-kill. De plus en plus jeunes et avertis, les pêcheurs pratiquent une pêche responsable qui permet le renouvellement des stocks. »

Patience et confiance en soi

Un avis que partage Aurélien Fiaux, qui a créé en 2015 la Naturlish Academy, un club de pêche dans le 19e arrondissement de Paris. « On pêche sans ardillon, que l’on écrase, pour que le poisson puisse repartir lorsqu’on le rejette à l’eau. On respecte les poissons, on est très loin de la pêche avec filets ou à la dynamite », assure ce passionné de 40 ans, qui pratique cette activité depuis l’âge de 7 ans.

Tous les samedis, une vingtaine de pêcheurs en herbe, de 6 à 13 ans, parfois accompagnés de leurs parents, « issus du 16e arrondissement comme de Seine-Saint-Denis », apprennent le « street-fishing ». Butin de l’an dernier : 158 poissons – des perches, gardons, brochets, ou encore carassins – pris au cours de 26 sessions d’avril à décembre. « Il y a une valeur éducative : les jeunes apprennent la patience, la confiance en soi et à ne jamais lâcher, assure-t-il. Cette activité peut aussi canaliser des enfants hyperactifs et les rendre plus minutieux. »

Pour Amandine Sanvisens, de Paris Animaux Zoopolis, la pratique du « no-kill » n’enlève rien à la souffrance des poissons. « Nous nous intéressons à la question des individus, les pêcheurs celle des espèces », conclut-elle. Pourtant, elle le reconnaît, les vœux de Danielle Simonnet et des écologistes ont peu de chance d’aboutir.