COLCANOPA

Giboulées de grèves attendues en mars – et au-delà – en provenance de la SNCF, mais pas seulement : Air France, Carrefour, maisons de retraite, concessions hydrauliques d’EDF, voire bureaux de La Poste en Gironde ou Ille-et-Vilaine, des mouvements sociaux variés se succèdent, voire se télescopent, dans toute la France.

Point d’orgue de ce calendrier, les organisations syndicales appellent à une journée nationale de mobilisation le jeudi 22 mars. Les salariés de la SNCF, de la RATP, de la fonction publique, des organismes sociaux, mais aussi ceux de l’enseigne d’habillement Pimkie, les bibliothécaires ou encore les retraités ont reçu pour mot d’ordre de cesser le travail et de descendre dans la rue.

Dès le lendemain, le 23 mars, l’intersyndicale regroupant dix organisations syndicales d’Air France a invité pilotes, hôtesses, stewards et personnel au sol à une nouvelle journée de grève, la deuxième après celle du 22 février, un troisième round étant déjà calé pour le 31 mars. Objectif : obtenir de la direction des revalorisations salariales.

« La protection fout le camp »

Chez Carrefour, où un vaste plan de restructuration a été annoncé en janvier, FO et CFDT ont demandé aux salariés de laisser le rideau baissé le samedi 31 mars, sachant que, depuis quelques jours, des feux de palettes devant les entrepôts de Crépy-en-Valois (Oise), Cavaillon (Vaucluse) ou Carpiquet (Calvados) ponctuent déjà des débrayages.

La liste apparaît bien longue : après la faible mobilisation à l’automne contre les ordonnances réformant le code du travail, la protestation pourrait-elle ressurgir sur le terrain des entreprises ? Les syndicats l’espèrent.

« C’est vrai qu’on a du mal à mobiliser sur des textes législatifs, car ce n’est pas concret. Mais là, les premières ruptures conventionnelles collectives arrivent, les salariés voient la concrétisation des ordonnances de la loi travail. Ils prennent conscience que la protection fout le camp », relate Roxane Idoudi, secrétaire fédérale de FO Commerce, qui cite notamment les réorganisations au sein de certaines enseignes du groupe Mulliez, chez Pimkie et Happy Chic (Brice, Jules, Bizzbee et La Gentle Factory).

Les experts croient peu à un « printemps du mécontentement »

Le patronat, de son côté, affiche sa sérénité. « Les récentes grèves annoncées dans plusieurs entreprises sont très ciblées. Je n’ai pas le sentiment que le climat social se dégrade. On ne ressent pas de regain de tension ni de raisons particulières de s’inquiéter. Il n’y a aucune remontée en ce sens des directeurs des ressources humaines membres de l’Association nationale des DRH », l’ANDRH, assure son président Jean-Paul Charlez.

« Il y a un très grand calme dans les entreprises », confirme Raymond Soubie, président des sociétés de conseil Alixio et Taddeo. Et l’ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy d’ajouter : « En ce moment, les conflits dans les entreprises sont plutôt moins nombreux que ces dernières années. Quelques clignotants se sont allumés, mais de faible intensité. »

« On observe une superposition des luttes, pas une conjonction », analyse l’historien Stéphane Sirot.

A ce stade, certes, les experts des relations sociales ne croient guère que ces contestations diverses puissent converger en un « printemps du mécontentement », même à partir d’une dynamique qui serait lancée par des cheminots résolus. « On observe une superposition des luttes, pas une conjonction », analyse Stéphane Sirot, historien, spécialiste des conflits du travail, professeur à l’Université de Cergy-Pontoise.

Selon lui, « il y aurait les ingrédients mais la conflictualité sociale est en baisse. Les réflexes sont corporatistes. Chacun se replie plutôt sur ses propres revendications ». « Les implantations syndicales dans les entreprises et la culture de la négociation collective sont trop faibles », abonde Dominique Andolfatto, professeur de science politique à l’Université de Bourgogne.

« Une nouvelle répartition des richesse »

Certes, les motifs d’insatisfactions ne manquent pas, et pas seulement à cause des réformes lancées par le gouvernement. Les restructurations, d’abord, perpétuelles sources de conflits sociaux, se poursuivent, notamment au sein de groupes internationaux qui transfèrent d’un pays à l’autre leurs activités.

Ainsi, si un accord a été trouvé jeudi 14 mars pour mettre fin au blocage de près d’un mois de l’usine d’embouteillage de Coca-Cola aux Pennes-Mirabeau (Bouches-du-Rhône), non loin de là, dans la technopole Sophia Antipolis (Alpes-Maritimes), les syndicats du laboratoire Galderma (545 salariés), dont Nestlé a annoncé la fermeture, se mobilisent pour pousser le géant suisse à améliorer les conditions de son plan social. Ces foyers de protestation restent toutefois localisés.

En parallèle, les acteurs traditionnels se transforment pour s’adapter à la révolution numérique. La montée en puissance des GAFA, les géants de l’Internet, Amazon, Facebook et autres Google, met sous pression de nombreux secteurs, au premier rang desquels la distribution. Alexandre Bompard, le PDG de Carrefour, a dévoilé en janvier un plan d’économies prévoyant 2 400 départs. Par-dessus tout, les salariés du distributeur ne décolèrent pas de voir leur participation dégringoler à 58 euros en moyenne en 2018 contre 610 euros en 2017 : « 350 millions d’euros pour les actionnaires, 50 euros pour les salariés », le tract de la CGT Carrefour qui appelle à la grève pour le week-end de Pâques dénonce ainsi la « nouvelle répartition des richesses que nous créons ».

Des revendications sur le pouvoir d’achat

Si la reprise économique apporte une bouffée d’air sur le front de l’emploi, elle entraîne en sens inverse une montée des revendications sur le pouvoir d’achat. Les syndicats d’Air France, coutumiers des bras de fer avec la direction, ont été parmi les premiers à réclamer une augmentation des salaires, 6 % en l’occurrence. « C’est un phénomène que l’on connaît bien », à ce moment du cycle, témoigne Bernard Vivier, directeur de l’Institut supérieur du travail, « on sent certaines tensions, mais des conflits, je n’y crois pas, même s’il faut rester très prudent. »

Après des années d’investissements réduits, les demandes de revalorisation salariale se mêlent souvent de revendications sur les moyens nécessaires pour permettre aux salariés d’exercer leur métier dans de bonnes conditions. C’est le cas des professionnels chargés du grand âge, en grève jeudi 15 mars, après la journée de mobilisation du 30 janvier, afin d’obtenir notamment une augmentation du nombre de soignants.

« Le secteur à surveiller reste celui de la santé. Les hôpitaux, les maisons de retraite, c’est là où la situation peut dégénérer. Mais cela concerne d’abord le secteur public », prévient M. Soubie.