Nombreux étaient les amateurs et amatrices de Neal Shusterman à se presser autour du stand de dédicaces pour la première venue de l’auteur au Salon du livre de Paris, qui s’achève lundi 19 mars. Après s’être essayé à plusieurs genres, le romancier américain a rencontré le succès dans la littérature adolescente avec, notamment, la série Les Fragmentés.

Sa nouvelle trilogie de La Faucheuse qui s’achèvera en 2019 et dont le deuxième tome vient de paraître en France, décrit une société de la post-mortalité, où les humains, grâce aux progrès de la médecine, ne sont plus voués à mourir et peuvent même rajeunir à l’envi. La criminalité est en berne depuis que la société est gouvernée par un nuage informatique mais un problème subsiste : la surpopulation, du fait de l’immortalité. Pour y pallier, des faucheurs sont désignés parmi les humains pour condamner certains de leurs congénères.

Qu’est-ce que qui vous a inspiré cette trilogie de « La Faucheuse » ?

Ayant écrit des dystopies pour adolescents et constaté à quel point elles sont populaires, je ne voulais pas en écrire une de plus. Je me suis dit qu’on avait rarement observé comment cela se passe quand tout va bien dans le monde. J’ai donc essayé d’écrire une histoire utopique et de penser à quoi la société ressemblerait si on avait éradiqué la pauvreté, le racisme, les maladies, etc.

J’ai commencé à faire beaucoup de recherches, et l’une des choses qui est ressortie, c’est le rallongement de la durée de vie et les travaux pour arrêter le processus de vieillissement. Que serions-nous en tant qu’individus et en tant qu’espèce si nous devenions immortels ? J’ai réalisé que ça poserait des problèmes de population et les gens devraient quand même mourir. Comment décider alors qui doit vivre et mourir ?

Dans votre livre, vous avez confié cette unique tâche à la population elle-même…

Oui, car, finalement, on revient facilement à des éléments de dystopie si on imagine que les ordinateurs décident, que le gouvernement décide. Il fallait trouver mieux et m’est venue l’idée de confier ça à des personnages de haute moralité comme les maîtres Jedi. C’est de là que j’ai choisi les faucheurs, des personnages qui sont les plus moraux, les plus éthiques, les plus sages. Mais bien sûr, quand vous avez ce type de pouvoir, il est facile de se faire corrompre.

Dans cette trilogie, la société est régie par un super-nuage informatique, le « Thunderhead ». Etes-vous optimiste ou pessimiste envers la technologie ?

Je suis neutre : pour chaque chose positive qui survient grâce à la technologie, il y a aussi des conséquences négatives. Historiquement, c’est comme cela que ça semble fonctionner. Il y a des choses prodigieuses qui vont se produire avec l’intelligence artificielle, mais il y aura aussi des choses effrayantes. Et l’on va devoir trouver un moyen de naviguer entre les deux. Ma démarche est de poser ces questions aux adolescents qui vont dans quelques années être à la tête de la société.

Beaucoup d’œuvres de pop culture actuelle questionnent le futur : films, séries, livres… Y en a-t-il qui vous ont particulièrement plu ?

Black Mirror est ma série télé préférée du moment parce qu’elle traite de ce que j’essaie de faire avec mes livres. Elle m’empêche de dormir parce que je n’arrête pas de penser à ces technologies et où celles-ci peuvent nous conduire. Plus il y aura de productions comme celle-là, mieux ce sera, parce que nous devons absolument réfléchir à ces questions.

Ces livres ont pour thème central la mort. Reflètent-ils vos inquiétudes sur le sujet ?

Tout le monde est inquiet par la mort à un moment dans sa vie. Mais c’est bien plus l’idée de la conscience que celle de la mort qui m’intéresse. J’ai envie de comprendre ce que cette dernière signifie : avons-nous une âme ? Si on devient immortel, qu’est-ce que cela dit de notre conscience ? Est-ce qu’une intelligence artificielle peut avoir une conscience ? Pour moi, cette dernière question se doit d’être résolue parce que nous allons arriver à un point ou peut-être ne serons nous plus capable de faire la différence entre quelque chose d’artificiel et quelque chose qui ne l’est pas.

Est-il difficile de parler de mort à des adolescents ? Est-ce que vous vous êtes interdit certaines choses à ce propos ?

Ecrire sur la mort n’était pas difficile, parce que j’ai eu l’impression d’écrire à ce sujet de façon responsable et prudente. Les histoires qui me frustrent sont celles qui se terminent futilement. Je ne veux pas écrire ce genre d’histoires. Pour moi, les seules qui vaillent la peine sont celles qui contiennent de l’espoir. Même si certains de mes récits s’ancrent dans des situations sombres, elles contiendront toujours de l’espoir.

Les romans adolescents permettent aux lecteurs de grandir. Y a-t-il un enseignement qui vous tient à cœur de transmettre ?

La chose la plus importante que je veux transmettre n’est pas tant une morale. Car cela suggère qu’il y a une réponse simple et qu’en tant qu’auteur je la connaîtrais. La seule leçon que mes livres pourraient contenir est celle sur l’importance des perspectives, des points de vue. On doit voir les choses sous différents angles même ceux auxquels on ne veut pas penser. On doit avoir une vue d’ensemble pour pouvoir prendre des décisions éclairées.

Certains passages de « La Faucheuse » peuvent s’avérer violents. Comment avez-vous travaillé ces épisodes ?

J’ai choisi avec attention et beaucoup travaillé ces passages parce que je savais que je ne pouvais pas éviter la violence, cela sert l’histoire. Je devais montrer ce qui fait de certains faucheurs des mauvaises personnes. Il y a ce moment où Maître Goddard apparaît dans le premier tome. Il arrive dans un avion et annonce que tous les passagers vont être fauchés. La scène se déroule entièrement du point de vue d’un homme assis dans l’avion qui cherche à voir comment il peut affronter les faucheurs et qui réalise comment ces derniers prennent trop de plaisir à accomplir leur tâche. Cela a été raconté d’une manière qui ne glorifie pas la violence ou le sang.

Il y a aussi l’épisode du massacre dans le centre commercial qui peut trouver écho avec des événements aux Etats-Unis…

Encore une fois l’histoire est racontée du point de vue d’une petite fille qui se cache et ferme les yeux. On sait ce qui se passe, mais je ne le montre pas. 

Je veux préciser que jamais les faucheurs n’utilisent d’armes à feu même dans les moments où ils pourraient y recourir, parce que j’ai un problème avec ça. Je suis très en faveur du contrôle des armes à feu aux Etats-Unis, et je suis frustré par le fait qu’il n’y en ait pas plus actuellement. En tant qu’auteur de livres pour jeunes gens, je ne veux pas glorifier cette violence. Je fais de mon mieux pour éviter ça.

Votre trilogie a deux héros : une fille, Citra, et un garçon, Rowan. Etait-ce parce qu’il était difficile de choisir ?

Non. C’est parce que je voulais que ça attire les garçons et les filles. Les récents romans dystopiques pour ados ont, en général, une héroïne. Je voulais aussi avoir un personnage masculin, car je me suis dit que si je divisais l’histoire et les points de vue entre Citra et Rowan, je pourrais offrir beaucoup plus.

« La Faucheuse », tome II Thunderhead, de Neal Shusterman, éditions Robert Laffont, 576 pages, 19,50 €.