Documentaire sur Canal+ à 22 h 45

Arkan, le tigre des Balkans. / MAGNETO PRESSE

Belgrade et son univers impitoyable. Filmée de nuit sur une musique anxiogène, la capitale serbe prend une allure inquiétante. Dans cette ville d’un million et demi d’habitants environ, organisations criminelles, hooligans redoutés et armes de guerre font partie du paysage. Habitué de ces atmosphères, Jérôme Pierrat enquête depuis plus de vingt ans sur le crime organisé sous toutes ses formes. Cette fois, en compagnie d’Olivia Mokiejewski, il s’est intéressé à ce qu’il appelle « le trou noir de l’Europe », à savoir la Serbie, pays de 7 millions d’habitants, dont l’une des spécialités semble être le trafic d’armes.

On estime que 80 % des armes de guerre circulant en France proviennent de l’ex-Yougoslavie et notamment de Serbie, pays abritant de redoutables gangs de braqueurs écumant l’Europe occidentale. Un pays devenu également une véritable plaque tournante pour le trafic de stupéfiants. Pourquoi les voyous serbes semblent-ils aussi puissants ? Quels sont leurs appuis, leurs éventuels liens avec des responsables politiques, policiers et militaires ? A toutes ces délicates questions, Jérôme Pierrat tente de répondre en interrogeant de nombreux témoins, dont certains voyous de haut vol qui, face caméra, garderont leur cagoule. On n’est jamais trop prudent entre Danube et Save…

Borislav Pelevic en 2017. / SUNNY SIDE 2017

Fusils-mitrailleurs, pistolets, grenades, on trouve facilement de tout en Serbie. « En France, une kalachnikov vaut entre 2 000 et 3 000 euros. On en vend beaucoup », souligne un témoin, le ­visage caché : « Nos armes sont généralement transportées par des camions turcs. Mais avec les contrôles renforcés aux frontières à cause des migrants, c’est de plus en plus dur. Avant, on passait par la Hongrie ; maintenant, par la Croatie ».

Au fil de son avancée, l’enquête engage une plongée dans le milieu des hooligans locaux : « Fossoyeurs » du Partizan, « Braves » de l’Etoile rouge, certains groupes ressemblent à de véritables milices paramilitaires. Avant l’éclatement de la Yougoslavie, ces groupes étaient protégés par le pouvoir. En échange, les hooligans s’occupaient à leur manière des manifestants anti-régime. Aujourd’hui, les liens entre hooligans, voyous et responsables officiels perdurent. « Nous nous protégeons mutuellement », résume Ratko, supporteur du Partizan et prospère trafiquant de cocaïne.

Liquidation d’opposants

En interrogeant Bozidar Spasic, ancien responsable des services secrets de Yougoslavie, Jérôme Pierrat a face à lui un précieux témoin. Condamné à perpétuité par défaut en Belgique, Spasic a délivré, en quinze ans, six cents passeports à des criminels, chargés notamment de liquider des opposants passés à l’Ouest. « L’Etat n’a pas créé des criminels, ils existaient avant. On s’est servi d’eux », résume Spasic. Parmi ces criminels protégés par le pouvoir, Zeljko Raznatovic (1952-2000), plus connu sous le surnom d’« Arkan ».

Ancien voyou, hooligan emblématique de l’Etoile rouge, chef de guerre criminel à la tête de la Garde des volontaires serbes (les tristement célèbres Tigres), mafieux, homme d’affaires, politicien, époux de la reine de la pop locale, assassiné en plein Belgrade, la vie d’« Arkan » semble écrite par un scénariste sous amphétamines. Aujourd’hui, l’Etat se veut irréprochable, mais le crime organisé persiste. Grâce à des appuis dans les mairies, les commissariats et, paraît-il, certains ministères, l’argent du trafic d’armes et de la drogue est blanchi dans le bâtiment.

Serbie : les miliciens du crime, de Jérôme Pierrat et Olivia Mokiejewski (Fr., 2018, 55 min).