Dans la série « Feud », Catherine Zeta-Jones incarne une Olivia de Havilland trop peste au goût de son modèle. / FOX VIA BESTIMAGE

C’était la veille de son cent unième anniversaire. Le 30 juin 2017, Olivia de Havilland, la Melanie d’Autant en emporte le vent (1939), déposait une plainte pour le portrait que la première saison de la série Feud faisait d’elle. La cour d’appel de Californie se prononcera le 20 mars sur la recevabilité de la requête. Celle qui reste l’une des dernières comédiennes vivantes de l’âge d’or d’Hollywood, récompensée à deux reprises par l’Oscar de la meilleure actrice, pour A chacun son destin (1947), de Mitchell Leisen, et L’Héritière (1949), de William Wyler, assure ne jamais avoir donné son accord, ou reçu la moindre somme d’argent, pour l’utilisation de son nom et de son identité. Et estime que le personnage incarné à l’écran par la comédienne britannique Catherine Zeta-Jones entache « sa réputation professionnelle », elle qui est « connue pour son intégrité, son honnêteté, son abnégation et sa dignité »

Les sœurs ennemies du cinéma

Feud, diffusée en 2017 aux Etats-Unis sur la chaîne FX Networks et en France sur Canal+, raconte la rivalité hors normes entre deux stars hollywoodiennes, Bette Davis et Joan Crawford, sur le tournage heurté, fou et passionnel de Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?. Le film de Robert Aldrich, sorti en octobre 1962, joue sur la confusion assumée entre le scénario – deux sœurs, l’une ancienne star de cinéma et en chaise roulante ; l’autre actrice ratée martyrisant sa cadette dans une maison transformée en tombeau – et le désir mutuel de ces stars quinquagénaires d’en découdre dans la vie réelle. Cette pulsion meurtrière reste l’un des facteurs qui permet à Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? de s’imposer comme le plus génial et le plus troublant opus jamais réalisé sur Hollywood. « Si Joan Crawford venait à prendre feu, estimait une Bette Davis étrangère à toute langue de bois, je ne me donnerais même pas la peine de pisser dessus. »

FEUD Season 1 TRAILER Bette Davis & Joan Crawford (2017) FX Series
Durée : 02:38

Dans Feud, Jessica Lange incarne Joan Crawford, tandis que Susan Sarandon endosse le costume de Bette Davis. Le personnage d’Olivia de Havilland tient un rôle secondaire. L’actrice y raconte notamment la fameuse soirée des Oscars en 1963 où, nommée pour la statuette de la meilleure actrice pour Baby Jane, Bette Davis regarda, médusée, Joan Crawford aller chercher en personne la récompense attribuée à Anne Bancroft pour Miracle en Alabama, après s’être mise d’accord avec l’intéressée. Elle y évoque aussi « sa salope de sœur », à savoir Joan Fontaine, la vedette de Rebecca, d’Alfred Hitchcock.

Une scène dommageable pour son image

Leur rivalité reste relativement méconnue du grand public. L’aînée, Olivia de Havilland, avait gardé son nom pour poursuivre sa carrière, contraignant sa cadette à adopter celui de sa mère. Mais c’est Joan Fontaine qui fut la première à remporter l’Oscar de la meilleure actrice en 1942 pour Soupçons, d’Alfred Hitchcock, devant sa sœur, estomaquée, nommée de son côté pour Par la porte d’or, de Mitchell Leisen. « Je me suis mariée avant elle, j’ai obtenu l’Oscar avant elle, et, si je meurs avant elle, elle en deviendra blême. Même là, je l’aurai devancée », disait Joan Fontaine, décédée en 2013 à l’âge de 96 ans.

Olivia de Havilland, qui vit à Paris depuis le milieu des années 1950 et son mariage avec le journaliste de Paris Match Pierre Galante, était, elle, une icône terne, un modèle de « respectabilité », que ce soit à travers le rôle de la cousine vertueuse de Scarlett O’Hara dans Autant en emporte le vent ou comme la partenaire attitrée d’Errol Flynn, entre autres dans Les Aventures de Robin des bois de Michael Curtiz, dont elle se vantait d’avoir refusé les avances. Dans Feud, toujours au sujet de la remise des Oscars en 1963, Olivia de Havilland ajoute que Frank Sinatra, qui présentait la cérémonie cette année-là, devait avoir vidé le bar de sa loge vu qu’il ne restait plus la moindre bouteille dans le frigo.

L’actrice d’Autant en emporte le vent estime cette scène dommageable pour son image. Son action en justice vise à empêcher de futures productions de dépeindre des personnes encore vivantes sans leur accord ou celui de leurs héritiers. Une démarche qui a peu de chances d’aboutir, même si l’actrice centenaire se déclare prête à venir témoigner en personne. L’enjeu reste de taille. La série Feud, qui signifie querelle et dont le second volet sera consacré, en 2019, au prince Charles et à sa première épouse, Diana Spencer, verrait tout son principe remis en cause. Au-delà, c’est la possibilité de mettre en scène un personnage réel, en le portraiturant de manière critique dans une fiction, qui deviendrait impossible.