Un Syrien transporte un bébé sauvé des décombres des bâtiments suite aux bombardements dans la ville rebelle de Hamouria, dans la région de la Ghouta orientale, le 19 février 2018. / ABDULMONAM EASSA / AFP

Editorial du « Monde ». L’enclave kurde d’Afrin est tombée aux mains de l’armée turque et l’enclave rebelle de la Ghouta orientale est à l’agonie face à l’offensive de l’armée syrienne… Cela fait sept ans, cette semaine, que la Syrie est devenue « l’enfer sur terre », pour reprendre l’expression du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, évoquant le sort de la Ghouta.

Sept ans que le pouvoir syrien, aux abois face aux manifestations pacifiques d’un peuple réclamant davantage de libertés, a déclenché cet enfer. Les premiers morts sont tombés à Deraa, trois jours après le déclenchement, le 15 mars 2011, de la révolte. Aujourd’hui, on dénombre 354 000 morts, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, et des centaines de milliers de blessés. Un demi-million de personnes ont été emprisonnées par le pouvoir, dont 60 000 ont été assassinées. Le recours à la torture et au viol ont été, dans beaucoup de geôles, systématiques. Damas a régulièrement recours à des armes chimiques (sarin, chlore) et aucune « ligne rouge » – pas davantage celle des présidents Macron puis Trump depuis un an que celle d’Obama en 2013 – ne paraît l’arrêter. Sur 23 millions d’habitants, la moitié ont quitté leur foyer, et 5,4 millions sont réfugiés à l’étranger. La Syrie est un désastre humain.

Le conflit s’est, par ailleurs, internationalisé. Terrain de jeu des djihadistes du monde entier lorsque l’organisation Etat islamique (EI) contrôlait un territoire aujourd’hui perdu, le pays connaît une sorte de « guerre mondiale » en miniature. L’Iran puis la Russie sont intervenus brutalement pour venir en aide au régime de Bachar Al-Assad, tandis que, plus récemment, les Etats-Unis se sont impliqués dans la guerre contre l’EI et que la Turquie mène son combat contre les forces kurdes. Avions russes et américains, entre autres, se croisent fréquemment dans le ciel de Syrie.

Radicalisation du chaos

Hormis la guerre contre l’EI, jugée nécessaire par l’ensemble de la « communauté internationale » après les attentats en Europe, les autres interventions étrangères n’ont contribué qu’à une radicalisation du chaos. Téhéran et Moscou soutiennent la politique la plus criminelle que pouvait imaginer Damas. Ankara, de son côté, en s’appuyant sur des brigades islamistes de l’ex-Armée syrienne libre (ASL) en déroute, combat les forces kurdes qui furent les meilleures alliées de la coalition commandée par Washington dans la lutte contre l’Etat islamique.

Après la chute d’Afrin, qui était en « zone d’influence russe » et d’où Moscou avait retiré ses troupes, la prochaine cible de l’armée turque pourrait être Manbij, en « zone d’influence américaine ». Assistera-t-on à cette situation singulière, voire surréaliste, qui verrait un pays de l’OTAN, la Turquie, attaquer un territoire kurde où sont basées des troupes américaines soutenues au moins politiquement par tous les autres pays de l’OTAN ?

Pendant que chaque pays impliqué avance ses pions, ceux qui en payent le prix ultime sont évidemment les Syriens. Il y a sept ans, les manifestants réclamaient au minimum un peu de liberté, et pour certains la chute d’un dictateur. Aujourd’hui, aucun Syrien n’imagine plus la fin de « l’enfer sur terre ». Et le reste du monde, lassé, paraît avoir perdu, face à une brutalité exceptionnelle, et bien que toutes les valeurs universelles et onusiennes soient bafouées, tout ce qui pourrait ressembler à de l’empathie, à de la compassion. Les portes de l’enfer ne semblent pas près de se refermer.